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Biographie

2. Guerre de 14-18

Août 1914

Quand la guerre éclate, Montherlant a l’intention de s’engager pour suivre au front un de ses amis, celui qu’il avait beaucoup aimé au Collège de Sainte-Croix (le Serge Sandrier ou le Serge Souplier de la Ville et des Garçons).

Sa mère refuse, voulant le garder auprès d’elle. La famille Montherlant avait le sentiment de la caste, mais ne manifestait pas un vif patriotisme, au début de la guerre. Ni les Montherlant ni les Riancey n’étaient républicains ! Ils étaient des monarchistes catholiques, très mécontents de la mise à l’écart du Comte de Chambord, dernier des Bourbon et ils refusaient la politique de la République contre l’Eglise et les ordres religieux.

“La France, c’était le petit père Combes, la franc-maçonnerie, les inventaires. Et au début, ma foi, je crois que si la France avait été battue, on se serait dit : “elle l’a bien mérité, avec toutes les saloperies qu’elle a faites”. Le véritable patriotisme, dans ma famille et chez moi, ne commença qu’au moment de Verdun, et à ce moment-là, devint très fort.” (Archives du XXe siècle, p. 31).

En novembre et décembre 1914, Montherlant écrit sa première pièce L’Exil

“L’Exil me semble très extraordinaire à cause de la maîtrise que j’y montre”, dira Montherlant. “Ce n’était pas du tout autobiographique, le sujet était complètement inventé. Il était parti d’une seule phrase, de quelques mots, prononcés par ma mère. Mon camarade, celui que j’appelle Souplier dans la Ville, j’avais appris - j’ai su que c’était faux, mais je l’avais cru sur le moment - qu’il s’était engagé. Je crus qu’il était sur le Front, j’ai voulu le rejoindre, et j’ai dit à ma mère : “Je m’engage”. C’était pour retrouver ce garçon. Ma mère me dit : “Ne t’engage pas, je serai morte très vite, tu peux bien attendre quelques mois”. En effet, elle devait mourir neuf mois plus tard”. (Archives du XXe siècle, p. 31).

Il écrit aussi en 1914 Thrasylle, et les premières ébauches de La Ville dont le Prince est un enfant et des Garçons.

De 1914 à 1917, Henry de Montherlant restera très solitaire, lisant beaucoup : Tacite, Pascal, Flaubert, Nietzsche, Chateaubriand, d’Annunzio, Schopenhauer, Barrès. Il passe des heures à la Bibliothèque nationale. Il est actif, aussi, le jeudi et le dimanche dans un patronage de la paroisse Saint-François-Xavier.

Le 15 août 1915, mort de sa mère, Marguerite de Riancey

“Coup terrible pour moi”, écrira-t-il à Faure-Biguet.

Montherlant, en 1969, dans son roman Les Garçons, va décrire la fin de Madame de Bricoule, mère de son héros Alban. Terrible et superbe morceau d’anthologie dans ce livre si riche et encore mal compris.

Même si le romancier rejette toute identification de sa mère avec le personnage de Mme de Bricoule, voici quelques lignes sur la mort de cette mère :

“Mme de Bricoule croyait que les gens qui meurent ont droit à quelques égards ; elle avait grand tort. Elle écrivait des lettres auxquelles on ne répondait pas ; le courrier ne contenait plus que des imprimés (d’ordinaire des lettres de quête). Chacun s’ingéniait à lui montrer, de sa façon propre, que sa mort lui était indifférente, qu’elle pouvait et devait disparaître, qu’il était inutile qu’elle insistât, et indiscret. Un petit mot d’amitié, de quiconque, lui eût fait un instant chaud au cœur, mais ce mot, on tenait ferme à ne pas le lui dire : personne, non personne, non, personne. Elle mourait de sa maladie, et elle mourait de sa tristesse de mourir, et de comment elle mourait. Elle mourait à force de n’être pas aimée. “Etre aimée ! Etre aimée !”. Mais il n’y avait que sa mère qui l’eût aimée.” (Les Garçons, Pléiade, Roman II, page 805).

En septembre 1915, il est de la classe 1915, Montherlant est ajourné pour hypertrophie cardiaque de croissance. Il suivra cependant une préparation militaire.

 

Concernant son engagement dans l’armée, Montherlant dit :

“Je devins soldat en 1916. J’avais été versé dans l’auxiliaire (c’est-à-dire le non-combattant) et j’étais dans un état-major de l’arrière. C’est ici que se place un autre trait admirable, de ma grand-mère (la Comtesse de Riancey), cette fois. Ma grand-mère m’aimait comme aiment les vieilles dames qui sentent qu’elles vont mourir et qui n’ont qu’un être à caresser, à câliner et sur qui répandre leur besoin de tendresse, et de cajolerie. Je peux dire que ma grand-mère m’adorait. Or, elle fit des pieds et des mains pour que, de cet état-major de l’arrière (état-major du général de Castelnau) qui était à soixante kilomètres du front, je fusse envoyé sur le front, ce qui était non seulement risquer ma propre vie à moi, mais sa vie à elle, car si j’avais été tué elle serait sûrement morte. C’est un trait que je trouve vraiment sublime.” (Archives du XXe siècle, p. 33).

Cette déclaration de Montherlant est-elle conforme à la vérité ? S’est-il réellement engagé en 1916 ?

En réalité, non, Montherlant selon un de ses derniers biographes, Pierre Sipriot, qui n’aura pas ménagé Montherlant en fouillant dans sa vie privée, en abusant de la confiance de Jean-Claude Barat, héritier de Montherlant, en se servant avec indiscrétion de tous les papiers de l’écrivain après sa mort, en colportant les racontars de Peyrefitte avec qui Montherlant eut le grand tort de s’être lié dans les années 30 et 40, en réalité donc, Montherlant fut :

  • réformé en 1914 pour hypertrophie cardiaque ;
  • il ne faut pas considérer Montherlant comme un embusqué. Il ne fit pas de zèle, au début de la guerre, pour s’engager. Sa mère lui avait demandé d’attendre, car elle se sentait mourir. Etre réformé était particulièrement mal vu à l’époque, surtout dans le milieu aristocratique.

Montherlant va donc attendre. Sa mère est morte, il est déjà plus libre. Mais la grand-mère, qui n’a plus que ce petit-fils très chéri, est là. Elle doit le freiner aussi. Mais il se décida, par orgueil, et pour éviter d’être traité de lâche ou de froussard, à monter au Front, malgré son hypertrophie cardiaque, et chercha à s’engager d’abord comme auxiliaire, en 1917.

Notons en passant, qu’avant l’engagement militaire, Montherlant s’éprend, en 1916, d’une jeune fille sud-américaine, avec qui il aura un flirt, et qu’il surnomme “l’Oiseau des îles’’. Modèle de Soledad des Bestiaires ? Il commence d’écrire à cette époque La Relève du matin.

En septembre 1917, donc, le conseil de révision reconnaît Montherlant apte au service auxiliaire. La grand-mère Riancey fait alors, sur la demande de son petit-fils, intervenir ses relations pour qu’il puisse servir dans une unité combattante. Il commence par être ouvrier agricole, en dépendance de l’armée en Seine-et-Marne. Ensuite, il est transféré à Mirecourt dans les Vosges, comme secrétaire d’Etat-Major (Général de Castelnau).

“En février 1918, quand il sera volontaire pour monter en ligne, ou comme on disait “aux premières loges”, le major recruteur objectera à Montherlant cette “hypertrophie cardiaque” qui le prédisposait à l’essouflement.” (Sipriot, tome 1, page 16).

Il obtient alors, de son grand-oncle, le Baron Robert de Riancey, officier de cavalerie, né en 1861 (beau-frère de sa grand-mère), commandant sur le front (360e Régiment d’Infanterie), d’être nommé adjoint d’un officier de renseignements au même Régiment. Ce qui sera fait en mai 1918. Il est suivi quasi quotidiennement par un médecin militaire qui surveille l’hypertrophie cardiaque !

 
   

Donc Montherlant fut un soldat courageux ; en arrivant sur le front, à 23 ans, il prend consciemment le risque d’y laisser sa vie, et au minimum, d’y être blessé. Et c’est ce qui arriva ! Le 6 juin 1918, son unité subit un tir d’artillerie. Son sous-officier est tué devant lui. Montherlant, simple soldat, comptera parmi les blessés. Il a sept éclats d’obus dans le dos, l’épaule et les reins. Une opération ne permettra de retirer qu’un des sept éclats. Il souffrira toute sa vie de cette blessure, qui à l’époque, fut considérée comme superficielle. Il en donnera le récit dans Mors et Vita. Il dira qu’il l’avait bien cherché.

Le 29 juin 1918, Montherlant est affecté au bureau de l’officier des détails.

En octobre 1918, il suit un stage pour être interprète de l’armée américaine, et est détaché, ensuite, auprès des Américains au moment de l’Armistice.

Il fut démobilisé en 1919. Il recevra la Croix de Guerre. Sa grand-mère le fit entrer comme Secrétaire général de l’œuvre de l’Ossuaire de Douaumont, dirigée par le Maréchal Pétain, œuvre qui aménageait le cimetière où l’on recueillait les ossements de tous les combattants tués à Verdun.

Si Montherlant ne s’était pas exposé sur le Front, alors qu’il aurait pu facilement s’y soustraire vu son état cardiaque, s’il n’avait pas risqué sa vie, et très vite, après quelques jours, été blessé par plusieurs éclats d’obus, il n’aurait jamais pu postuler ce poste d’un ossuaire très célèbre, lieu consacré à la mémoire des soldats tués à Verdun, ni être accepté comme Secrétaire de cet Ossuaire de Douaumont, où son travail, notamment, consistait à lire les lettres des mères des morts. Il y a d’ailleurs une plaque en bronze, sur l’Ossuaire, où le nom du Comte de Montherlant est inscrit comme Premier Secrétaire Général de l’Ossuaire de Douaumont !

Mais Montherlant avait réussi à obtenir ce qu’il avait voulu : ne pas être traité d’embusqué, prendre un gros risque, monter au Front, et très vite être blessé, pour recevoir médailles et décorations ! Calcul risqué mais réussi pour celui qui voulait montrer à son milieu qu’il avait exposé sa vie sur le Front et qu’il avait l’étoffe d’un héros !

Montherlant, dans cet épisode guerrier de 1918, agit à la manière d’un torero qui va jouer avec le danger, prend des risques, et s’en tire avec quelques blessures.

Citations et certificats militaires d’Henry de Montherlant

“Servant comme auxiliaire dans une section de secrétaire d’état-major, a demandé et obtenu d’être affecté dans un régiment actif. Y a fait preuve dès son arrivée, et malgré son état de santé précaire, de courage, de sang-froid et de beaux sentiments militaires. A été blessé grièvement le 6 juin 1918, à son poste de combat. Au G.Q.G, le 16 octobre 1918.” (Pétain, Citation, ordre n°22 963 D).

“Je certifie que le soldat de Montherlant, du service auxiliaire, secrétaire d’état-major dans un état-major à l’intérieur, est venu au 360e régiment d’infanterie sur sa demande et qu’il y a servi dans un poste réservé régulièrement aux hommes du service armé. Blessé et évacué, il revint au front sur sa demande. Je certifie qu’il est venu à maintes reprises me demander de faciliter son désir d’être envoyé aux postes exposés, qu’il a toujours été volontaire pour les missions périlleuses, et a fait l’admiration de ses camarades et de ses chefs par son énergie et sa belle conduite au feu. Aux armées, le 16 septembre 1918.” (L. Playoust, médecin-major chef de service au 360e R.I., membre de la Fédération nationale des combattants volontaires).

“Blessure : Ostéite traumatique du sacrum avec douleurs radiculaires, douleurs localisées à la région droite paramédiane du sacrum au niveau du 3e segment. Invalidités totalisées : 50%.”