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Articles sur Montherlant (hors presse)

165. En guise d’introduction à Montherlant et l’Antiquité, un important ouvrage de 700 pages de Pierre Duroisin qui vient de paraître chez L’Harmattan

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Invité, en 1944, à traduire « ligne pour ligne » les Bucoliques de Virgile, Paul Valéry avait d’instinct « rouvert [s]on Virgile de classe », et voici ce qu’il disait dans les Variations qui entourent sa traduction : « Quoique latiniste des moins sûrs de soi, cette mince et médiocre connaissance qui m’est restée du langage de Rome m’est infiniment précieuse. On peut fort bien écrire tout en l’ignorant, mais je ne crois pas que, l’ignorant, on puisse se sentir aussi bien construire ce qu’on écrit que si l’on a quelque conscience d’un latin sous-jacent. »

On peut de même estimer qu’on ne « sent » pas aussi bien Montherlant si l’on n’a pas quelque conscience, en le lisant, d’une Antiquité sous-jacente. C’était notre sentiment quand nous avons publié en 1987, en un temps où il avait perdu son auréole pour des raisons étrangères à la littérature, la première version de Montherlant et l’Antiquité ; ce l’est plus encore aujourd’hui, cinquante ans après sa disparition.

Entendu qu’il n’est pas indispensable de passer par les Anciens pour apprécier des romans comme Les Célibataires ou Le Chaos et la Nuit, des pièces comme Le Cardinal d’Espagne ou Brocéliande, des essais comme Aux Fontaines du désir ou Service inutile, des poèmes comme Chant de Minos ou Iphigénie aux cils battants. Le philosophe Jérôme Christophe nous en administre la preuve avec le Montherlant maintenant qu’il vient de publier aux éditions Complicités : son essai, essentiellement construit sur les Carnets de l’écrivain, ne s’attarde guère sur Rome et sur la Grèce[1], et personne ne songerait à lui en faire grief ni à s’en plaindre. Mais pour peu qu’on soit porté vers le monde ancien, on en revient toujours au cri qu’a poussé Montherlant en 1963, lorsqu’il vit Jean de Beer qualifier de « falbalas » le Quo Vadis et les Romains de sa jeunesse : « Comment le papier ne se met-il pas à brûler quand on écrit sur lui de pareilles choses ? Quo Vadis et les Romains […] sont des éléments essentiels et constitutifs de ma personnalité : on le saura mieux encore dans quelques années, quand certains ouvrages de moi (sur les Romains) auront paru. »

C’est l’auteur de La Mort de Pompée qui s’est alors récrié, celui de La Guerre civile en gestation, celui des essais qui composeront Le Treizième César. Mais si le mot est intéressant, c’est aussi parce qu’il résume ce que fut la relation Montherlant-Antiquité classique.

Après la révélation de Quo Vadis en 1904 et la découverte progressive du monde romain, les Grecs feront tout naturellement leur apparition dans l’œuvre. Jusqu’à ce qu’un désaccord éloigne Montherlant d’une certaine Grèce. Comme Nietzsche, qu’il admirait, il fera le départ entre les « penseurs » de l’époque classique : un Socrate, un Platon, qu’il va obstinément contrecarrer, et les autres : Hésiode, Pindare, Héraclite, les Tragiques…

Mais prenons-y garde : ses Romains ne furent jamais absous de leurs faiblesses et de leurs crimes. Quand Montherlant dit en 1964 (on n’est pas loin de sa protestation « enflammée » à l’adresse de Jean de Beer) que « tout ce qui est opus romanum est opus humanum, tout ce qui est œuvre romaine est œuvre humaine», il n’escamote pas la Bête au profit de l’Ange. Il entend par là que « les Romains ont déployé en vivant un large éventail, qui va de l’art de jouir à l’art de mourir, avec entre les deux le courage, la gravité, l’infamie et la tristesse », que c’est pour cette raison que « leur histoire est un microcosme de toute l’Histoire » et que « si on connaît bien l’histoire romaine, il n’est pas indispensable de connaître l’histoire du monde ».

Tel était déjà le nœud de notre premier Montherlant et l’Antiquité ; il est plus que jamais celui de cette version revue, rafraîchie, amplifiée à la lumière des inédits – des juvenilia notamment – qui ont entretemps vu le jour. Des raisons suffisantes à quoi vint s’ajouter un puissant moteur : l’impulsion nouvelle qui fut donnée, en ce XXIe siècle, aux études « montherlantiennes » de quelque nature qu’elles soient, et qui contribua à réconcilier le public et l’écrivain[2].

Pierre Duroisin

[1] Parmi les mots hérités de Rome que J. Christophe ne pouvait manquer, celui de Sénèque qu’on lisait, dès 1929, dans Le dernier Retour : « Plus je vais chez les hommes, plus j’en reviens inhumain. »
[2] Pour le détail, nous renvoyons le lecteur à l’Avant-propos de notre essai, que chacun peut lire en activant le lien ad hoc. On y verra la part qu’ont jouée dans cette réconciliation deux initiatives d’Henri de Meeûs : la « Journée Montherlant » qui s’est tenue en 2007 à Bruxelles et la création, peu après, du site www.montherlant.be, où tout le monde s’accorde à reconnaître « la source électronique la plus riche » qui soit sur l’écrivain.