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Articles sur Montherlant (hors presse)

117. Les demeures parisiennes de Montherlant (de sa naissance à sa mort),
        par Pierre Duroisin

1895-1899

 
 

Le 11bis avenue de Villars
est devenu le n°13 en 1902.

Montherlant, si attentif aux « signes » d’ordinaire, n’a nulle part noté, semble-t-il, que la maison de l’avenue de Villars où s’étaient installés dès après leur mariage Joseph Millon de Montherlant et Marguerite Camusat de Riancey[1], que cette maison où lui-même vit le jour le 20 avril 1895 portait un n° 11bis pour éviter le 13 fatidique[2]. C’est bien là, en revanche, qu’il situe, « à trois ans », son « premier souvenir d’être humain » :

   Nous habitions avenue de Villars. Un soir, à la nuit tombée, passa sous nos fenêtres un monôme d’étudiants se dirigeant vers les Invalides et scandant : « Conspuez Zola ! Conspuez Zola ! Conspuez ! » J’entrai dans la vie consciente par la guerre civile et le racisme[3].

Un souvenir qui, soit dit en passant, autorise les « trois ans » que se donne en la circonstance Montherlant. On sait qu’il entretint volontiers l’idée qu’il était né le 21 avril 1896, mais on sait aussi que la publication par L’Aurore du pamphlet qui valut à Zola de comparaître un mois plus tard devant les Assises de la Seine date du 13 janvier 1898 et qu’on vit dès cet instant défiler dans les rues de Paris les cortèges hostiles aux Juifs. « Trois ans » est donc tout à fait plausible.


1899-1907

L’enfant n’est guère plus âgé quand il s’installe avec ses parents au 106 de la rue Lauriston, dans un respectable hôtel particulier du seizième arrondissement où venait d’éclater un scandale « pasiphaesque » qui sera évoqué dans Mais aimons-nous ceux que nous aimons ? :

   En 1899, mes parents et moi nous quittâmes notre appartement de l’avenue de Villars, où j’étais né, pour nous loger sous les ailes de mon grand-père et de ma grand’mère maternels : vaste maisonnée, un peu analogue à une gens romaine, sept « maîtres » et six serviteurs, vivant ensemble de façon quasi familiale, dans un H. P. en briques du seizième, avec belle serre et jardinet minuscule. Notre arrivée coïncida avec un certain émoi derrière les briques roses : on venait de renvoyer le cocher, parce qu’il faisait l’amour avec la jument. Je n’appris cette liaison que plus tard, bien entendu, quand on commença de s’occuper de mon éducation[4].

Les « maîtres », outre les trois nouveaux venus, sont le comte Emmanuel Camusat de Riancey, né en 1846, et sa femme Marguerite, née Potier de Courcy en 1847[5], leur fils Henry, surnommé Noute, né en 1870, et leur beau-frère et frère le baron Pierre Potier de Courcy, dit Pietro, né en 1856. Le pater familias, qui décèdera en 1905, menait certes grande vie (Faure-Biguet, quand il publie en 1941 sa biographie de Montherlant, le décrit comme « un vieux beau, séduisant et prodigue, ruiné par les femmes, puis mené par elles à la tombe[6] », et son propre petit-fils, dans l’interview qu’il accordera le 10 mai 1971 à Jean José Marchand, le décrira comme « gai, viveur, superficiel, camélia à la boutonnière, œillet blanc, très épateur[7] »), mais enfin, M. de Riancey n’était pas homme à fermer les yeux sur les écarts de son cocher. Il avait donc décidé de vendre la jument et le coupé au profit d’une De Dion avec chauffeur, « redoutant peut-être, explique l’auteur pince-sans-rire de Mais aimons-nous, les troubles que pouvait causer une jument si captivante parmi les mâles de la maisonnée, l’un toutefois n’étant qu’un septième de mâle, puisque j’avais trois ans[8] » – un « trois ans » qui reste plausible si le déménagement eut lieu assez tôt dans l’année.

C’est au 106 de la rue Lauriston, en tout cas, que le jeune Montherlant naît à la vie littéraire et à la vie amoureuse. À la vie amoureuse quand, à sept ans, il tombe sous le charme d’un « petit garçon […] aux grandes mèches ondulées » qui fréquente comme lui le cours Fénelon de la rue de la Pompe, « face à Janson[9] » ; à la vie littéraire quand, vers la même époque, il rédige « un dialogue moyenâgeux » inspiré des deux romans qui sont devenus ses livres de chevet, Franchise de Joséphine Colomb et Les Prisonniers de Tiffauges d’Émilie Carpentier[10]. Mais en 1904 surgit Quo vadis, dont l’effet fut immédiat : « L’action du dialogue moyenâgeux devint romaine[11] ». S’ensuit un récit intitulé Pro una Terra que l’écrivain en herbe compose, en 1905, avec Faure-Biguet, qui est son camarade de classe au lycée Janson de Sailly. C’est alors aussi qu’il commence « à la maison l’étude du latin, avec un professeur de Janson[12] ».

Les « œuvres », cependant, s’enchaînent les unes aux autres, que l’auteur se plaît à recopier avec le plus grand soin et en notant scrupuleusement son adresse (car il se veut aussi « libraire-éditeur ») sur la page de titre ou de couverture. Suprême défi, « Nouvelle des temps Néroniens » de 1906, les trois carnets regroupant les Notes sur Scipion l’Africain, le premier volume de la seconde édition de Nadia, « Roman du temps de Néron » commencé en 1906, la « 5e édition » de Pro una Terra furent tous « édités » à la rue Lauriston[13]. On ne sait si le jeune écrivain s’installait volontiers dans le « jardinet » comme plus tard l’écrivain reconnu dans son jardin de Neuilly, ou s’il s’enfermait dans sa chambre pour travailler, mais au moins sait-on, par Faure-Biguet, que cette chambre « n’a rien de particulier », sinon que « toutes les images suspendues aux murs, et qui ont été choisies par l’enfant lui-même, sont des images d’autres enfants : le Louis XVII de Vigée-Lebrun, le Roi de Rome de Lawrence, des infants et des infantes, des pages de la Renaissance, une carte postale représentant le petit Alphonse XIII, qui a l’âge de Montherlant[14] ».

 

Le 106 rue Lauriston à Paris XVIe.


1907

Changement de décor en mars 1907, quand « la famille de Montherlant – c’est Faure-Biguet qui le dit – quitte la rue Lauriston » pour offrir à la mère d’Henry, qui ne s’est jamais remise de son accouchement, « un grand jardin, un air plus pur ». Ce havre, la famille, réduite à six « maîtres » depuis 1905, a cru le trouver « dans une vaste maison de famille du boulevard d’Argenson, à Neuilly[15] » : « Dans l’ample jardin de la pension, assez “Grand Meaulnes ”, commente Faure-Biguet, un petit garçon de onze ans commence sa puberté précoce. » L’ennui, c’est qu’on est loin de Janson, si bien qu’Henry est obligé de « travailler durant quelques mois avec un précepteur ecclésiastique » ; le bon côté des choses, c’est qu’il a plus de temps libre pour écrire et pour « éditer » ses œuvres ou celles de Faure-Biguet, pareillement tenaillé par le démon de l’écriture : le De Augusto, le recueil intitulé Mosaïque, les Coups de plume de Faure-Biguet sont « édités » au 42 du boulevard d’Argenson[16].


1907-1925

 
 

Le passage Saint-Ferdinand photographié quelques jours
avant la destruction du pavillon de Neuilly (1973).
Le pavillon situé au premier plan à gauche
est celui qu’habita Montherlant.

Nouveau déménagement peu après la rentrée d’octobre 1907. La famille s’installe dans une villa du passage Saint-Ferdinand, à Neuilly toujours, et cette fois-ci pour un long temps, puisque Montherlant y restera jusqu’en 1925[17]. « Ce n’est pas une très belle maison, mais elle est commode », explique Faure-Biguet, qui se souvient surtout du jardin, où il a « passé avec Montherlant de longues heures traversées des jeux de ses chiens et de ses chats » (on y entendait, paraît-il, « le chant du coq ou le grincement de la poulie d’un puits »), où seront écrits, surtout, bien des pages de ses premiers livres et « notamment, en entier, le Chant funèbre pour les Morts de Verdun ». Le début du Songe montre d’ailleurs Alban de Bricoule, qui est un peu le double de l’auteur, assis à une « petite table de jardin » avec, dans les parages, « ses deux chats familiers[18] ». Jamais, en revanche, on ne connut dans cette maison ni l’électricité ni, à plus forte raison, le téléphone : « En 1924 encore, Montherlant travaillait à la lampe à pétrole » et « en 1914, son père n’usait que de la lampe à huile[19]. »

Il fallait une école proche du passage Saint-Ferdinand. On choisit d’abord Saint-Pierre de Neuilly, où Montherlant fut d’octobre 1907 à l’été 1910 et où il rencontra celui dont le souvenir le hanta jusqu’au soir de sa vie[20]. Il commence d’apprendre le grec en leçons particulières, étant le seul élève de l’école à en faire, et il continue d’écrire et d’éditer ses « infantilia » : en témoignent le « 1908 » qu’on lit sur la couverture du carnet regroupant les deux volumes de Nadia et la mention « H.M. 1 Villa Saint Ferdinand Neuilly s/Seine » qu’on trouve sur la page de titre du second volume à l’intérieur même du carnet[21]. Ce goût des textes soigneusement recopiés lui passera avec le temps, et Faure-Biguet ne manque pas de souligner que si Montherlant a consacré « tant d’heures de sa jeunesse à recopier sur de beaux cahiers, et en les ornant de dessins, ses premiers textes, par la suite, son œuvre entier a été écrit en premier jet, et recopié, sur des dos de lettres ou de prospectus », mais en juillet-août 1909 il s’emploie encore à recopier Érold et Sylvaine « dans une édition de luxe » avec « frontispice, culs-de-lampe à la sépia, pastel, crayon et aquarelle[22] », et fin 1912, à dix-sept ans bien sonnés, il prend la peine de calligraphier dans un cahier ad hoc une version de Thrasylle qu’il intégrera trois ans plus tard dans un roman qui sera lui-même abandonné, La Vie en forme de proue[23].

Autre événement majeur pendant ces années Saint-Pierre, autre coup de foudre, la corrida, que Montherlant découvre en 1909 à Bayonne, à l’occasion d’un pèlerinage à Lourdes avec sa grand-mère. Ce taurinus furor nourrira tout un pan de l’œuvre, depuis Les Bestiaires, datés « Burgos 1911. Séville, 1925 », jusqu’au Chaos et la nuit, daté 1961-1962[24].

À Saint-Pierre succède le collège Sainte-Croix de Neuilly, où tant de choses se jouèrent entre janvier 1911[25] et mars 1912, quand Montherlant fut renvoyé de la même façon et pour les mêmes raisons que le Sevrais de La Ville dont le prince est un enfant et le Bricoule des Garçons. Mais il y aura bientôt à la Villa Saint-Ferdinand d’autres drames que celui qui s’est joué à Sainte-Croix. En l’espace de dix-sept mois, Montherlant perd ses parents, son père d’abord, qui meurt le 17 mars 1914 à 48 ans, sa mère ensuite, qui meurt le 15 août 1915 à 42 ans, minée par les lointaines séquelles de son accouchement bien davantage que par le chagrin[26]. Entretemps la guerre a éclaté, que Montherlant fera, comme il l’a dit lui-même, « moins que beaucoup d’autres[27] », où il fut cependant blessé, où il aurait pu, tout compte fait, mourir : on ne choisit pas l’endroit de son corps que labourent les éclats d’obus. Il sera ensuite Secrétaire général du Comité France-Amérique et de l’Œuvre de l’Ossuaire de Douaumont, mais il est surtout devenu, en 1920, l’auteur de La Relève du matin, puis du Songe en 1922, en attendant Les Olympiques en 1924 et le Chant funèbre début 1925. Marguerite de Riancey, sa chère grand-mère, étant morte le 19 juillet 1923, Montherlant ne se sent plus d’obligations et c’est, le 15 janvier 1925, l’adieu à la « case familiale » et le « grand départ » pour le Sud : Espagne, Afrique.

Ce n’est pas que bien avant 1925, notre Henry n’ait eu son « atelier », comme le Costals des Jeunes Filles aura le sien, « au fond d’un jardinet », boulevard du Port-Royal[28]. En 1913, il eut « l’idée de génie » (dixit Faure-Biguet) de louer « à l’insu de ses parents une chambre dans un hôtel du quartier Montparnasse », au 49 de la rue Vavin très exactement, son alibi étant le dessin, pour lequel il était assez doué[29]. Il y reçut celles qu’il surnomma les « Vésuviennes[30] », dont une Syracusaine appelée Maria qui jalonne son œuvre du Dernier Retour de 1929 au Treizième César de 1970[31]. Mais enfin cet aimoir-atelier ne fut qu’une parenthèse dans la longue station au passage Saint-Ferdinand.


1925-1926

 
 

Le 9 rue du Regard en 2016.

Le dernier Retour nous a d’une certaine façon ramenés au grand départ de janvier 1925. Départ programmé depuis quelque temps déjà, comme il ressort clairement des premières lignes d’un texte qui avait paru sous le titre Les Maisons que l’on quitte dans L’Intransigeant du 8 novembre 1924 :

   Une grande maison, où votre famille et vous-même vous avez vécu près de vingt années. Vous y avez été enfant, jeune homme, homme. Puis la mort a fermé les chambres, une à une. Vous allez partir, à votre tour.
   Au fond du jardin, du matin au soir, chaque jour, un feu brûle[32].

L’auteur des Maisons que l’on quitte célébrait la « volupté du vide » et le « dénuement de celui qui se tient toujours prêt à partir », estimant que « le foyer idéal » est celui dont on peut apprendre qu’il n’en reste rien sans en être ému à l’excès. Cela étant, il savait – Jean-François Domenget l’a bien noté – qu’il était attendu en Espagne, à Madrid notamment, où il donna le 30 avril une conférence sur Barrès[33], et pour le reste il s’était prudemment ménagé un point de chute à Paris au 9 rue du Regard. On peut relire la notice autobiographique qu’il a lui-même rédigée en 1968, on verra que tout ce qu’on y lit pour les années 1925-1926, jusqu’à la note en bas de page sur un « petit serviteur de quatorze ans engagé à Marseille en novembre 1925 », se vérifie par ailleurs :

   1925. – C’est le « grand départ » du 15 janvier. M. met la totalité de ses meubles au garde-meuble. […]
   Après avoir vagabondé quelque temps dans le Midi, et s’être arrêté à Madrid, il s’installe en Andalousie. Il fréquente le milieu tauromachique […].
   Rentré à Paris de mai à septembre, où il vit chez un oncle de Montherlant, rue du Regard, il écrit les Bestiaires […].
   De septembre à novembre, il retourne en Andalousie et travaille de nouveau des taureaux. […]
   Le 7 novembre, il est blessé par un taureau […]. Il rentre à Paris, après s’être arrêté quelques jours à Marseille.
   1926. – Il termine la composition des Bestiaires dans un appartement meublé de la rue de la Harpe.
   En mai, il emménage 41 rue de Bourgogne. À peine a-t-il emménagé il tombe malade. Hospitalisé à la clinique de l’Institut Pasteur. […]
   Guéri, il retourne rue de Bourgogne, mais il ne s’y « installera » jamais vraiment. Pendant treize ans, l’appartement restera dans l’état où il a été laissé par les déménageurs, sauf la chambre de M., celle d’un serviteur[34] et la cuisine.

Pour les meubles on a une facture acquittée le 12 janvier 1925 par la direction du garde-meuble Edmond Nortier, 29 rue Edmond Nortier à Neuilly-sur-Seine[35], et pour Madrid on a le bel exemple de la conférence sur Barrès.

Pour la rue du Regard, on s’appuiera sur trois courriers : deux lettres – l’une, du 9 décembre 1925, émanant du Consulat de France à Valence[36] ; l’autre, datée du 29 janvier 1926, venant de Grasset[37] – qui furent envoyées à Montherlant au 9 rue du Regard, mais aussi une lettre datée du 28 août 1924 qui lui fut envoyée depuis la rue du Regard par un proche qui le tutoie, qui l’appelle « Mon cher Henry » et qui signe Jean[38]. Il ne peut s’agir que de Jean de Montherlant, un cousin germain de Joseph dont on sait par un autre biais qu’il était alors domicilié au 9 rue du Regard[39], celui-là même que la notice de 1968 présente comme « un oncle de Montherlant » et qui hébergera notre grand voyageur en 1925 et peut-être encore début 1926. Le ton affectueux de la lettre peut expliquer le choix que fit Montherlant de « descendre » chez « l’oncle Jean » plutôt que de louer un pied-à-terre ailleurs dans Paris. Cela dit, pourquoi le présenter comme un oncle ? Peut-être parce qu’il était d’usage chez les Millon de Montherlant de l’appeler « l’oncle Jean ». C’est ainsi en tout cas qu’il sera plus tard désigné – et quelque peu égratigné – dans le Carnet XXIV[40].

Pour la rue de la Harpe, on recoupera la notice de 1968 : « 1926. – Il termine la composition des Bestiaires dans un appartement meublé de la rue de la Harpe », avec ce qu’on glane dans l’œuvre même et ce qu’on lit chez Faure-Biguet.

 
 

Jean de Montherlant (1869-1949).
Coll. part.

Le témoignage de Faure-Biguet, écrivant tout uniment que Montherlant « en 1922 […] méditait déjà d’écrire une vie de Julien l’Apostat[41], et, enflammé par son modèle, louait un petit logement rue de la Harpe, afin d’être tout proche des thermes de Julien[42] », ce témoignage peut prêter à confusion, car l’homme qui s’installera rue de la Harpe n’est plus celui qui « méditait d’écrire une vie de Julien », c’est celui qui « termine la composition des Bestiaires », où Julien n’est plus qu’une figure parmi d’autres.

Il n’y a, en revanche, aucune équivoque possible chez Montherlant, que ce soit dans Moustique en 1929, quand il évoque l’« enfant d’Afrique » qu’il a « ramené à Paris comme les marins ou les colons vous rapportent un chien ou une perruche » et qui n’est autre que le « petit serviteur de quatorze ans – Vincent de son vrai nom – engagé à Marseille en novembre 1925 » :

   […] j’ai loué à Paris un petit appartement meublé. Malgré le quartier que j’ai en horreur, je me suis décidé pour lui parce que, de mes fenêtres, je vois les thermes de Julien, que les chrétiens appellent l’Apostat[43],

ou que ce soit dans Le Foyer d’infection, quelques années plus tard, quand il écrit :

   En 1924-1926, quittant la maison familiale, je réduisis ses dix-sept pièces à trois pièces[44].

Les dix-sept pièces s’appliquent évidemment à la Villa Saint-Ferdinand, mais les trois pièces ne sauraient concerner le logis de la rue du Regard, où l’auteur des Bestiaires n’a vécu que par intermittences[45] : elles valent à coup sûr pour « le petit appartement meublé » de la rue de la Harpe, en attendant l’installation, en mai 1926, au 41 de la rue de Bourgogne.


1926-1939

À peine installé rue de Bourgogne, Montherlant doit être hospitalisé. Comme il l’a bien dit dans sa notice de 1968, comme il l’a dit aussi dans le chapitre 6 de Moustique :

   Peu après je tombai malade. Typhoïde. Et le même jour où m’emportait une voiture d’ambulance, Vincent qui me devenait inutile, pour un long temps sans doute, partit pour Marseille, avec ma promesse ferme, bien entendu, de le reprendre quand je serais guéri[46].

Suit, dans ce même chapitre 6, une description de l’appartement qui complète idéalement la notice de 1968 :

   Sitôt guéri, je l’ai fait revenir. Cette fois, c’est un vrai appartement que j’ai, où les déménageurs entassent tout ce qui reste de mes destructions, en 1924, quand je quittai la maison familiale de Neuilly, où tout le monde était mort. Huit grandes pièces où, du jour au lendemain, avec un découragement sans bornes, je vois s’étager les meubles, les caisses, les malles, presque au plafond. Et j’avais passé un mois à tout brûler ! On dirait que, pendant ces deux mois de garde-meubles[47], tout cela a poussé en végétation, a fait des petits. Profitant de ce que je suis convalescent, […] les déménageurs ont tout planté là ; et j’ai donné décharge sans vérifier. C’est plus tard que je vois que les crédences sont brisées, que les marbres des commodes manquent, que les planches des armoires – six armoires – sont jetées en vrac – allez vous y reconnaître. Et je mesure le tragique de la possession. […] La matière s’accumule. Trois générations ont déposé en moi, seul héritier, toutes leurs épaves comme trois vastes lames de fond.
   Naturellement, ce chaos est le paradis de Moustique le chiffonnier. […]
   Nous avons, au milieu de ce grand cataclysme, vaguement aménagé deux pièces, la sienne et la mienne. La mienne, pas de rideaux, et le soir on bouche la fenêtre avec un cadre de lit où est tendu un drap. Un squelette d’armoire, qui ne peut servir car, dans la cinquantaine de planches jetées en vrac, on n’en a trouvé aucune qui entrât. Les plus élémentaires objets, de première nécessité, manquent car – malgré le catalogue savant du contenu des malles et des caisses[48] – comment les retrouver comme il faut dans ces dix-neuf malles et caisses ?[49]

Un « chaos » qui perdura, comme le donne à penser ce témoignage de Maurice Sachs :

   Je connus Montherlant chez lui, rue de Bourgogne. Mais il avait peu l’air chez lui dans cet appartement qui avait peu l’air d’un chez-soi. Tout y était à la renverse. Les meubles portaient des housses. La poussière s’était mise partout. Les valises ouvertes dans les chambres disaient que Montherlant revenait de voyage ou se préparait à partir[50].

Quant à dire si Montherlant s’accommoda continûment de ce désordre et de cet inconfort, c’est une autre affaire. Une lettre qu’Alice Poirier (elle fut, aux dires de l’auteur des Jeunes Filles, l’un des trois « modèles » de son Andrée Hacquebaut) lui envoie le 15 décembre 1932, prouve qu’il a lui-même songé à s’y soustraire :

   Dites-moi, je trouve que c’est idiot que vous déménagiez de la rue de Bourgogne pour la rue du Bac. C’est crasseux contre crasseux. Je me souviens très bien que chez Mr Hazard, il n’y avait pas plus de chauffage central que chez vous. Il allume un radiateur à gaz ou du feu dans sa cheminée et c’est très bien ainsi. Restez donc où vous êtes. Vous n’avez qu’à transformer la pièce qui vous sert de chambre en salon et pousser votre chambre une pièce plus loin. Le reste, vous le laissez vide[51].

La rue du Bac ne fut qu’une velléité. Il est vrai qu’entre 1926 et 1939 Montherlant se trouva sans doute autant, sinon plus, dans le Midi, ou en Italie, ou en Espagne et en Afrique, qu’à Paris.

De ses pérégrinations incessantes, de ses « allées et venues », nous ne retiendrons que les séjours africains les plus marquants : un mois à Tanger, en octobre 1926, dans une villa proche de l’Institut Pasteur ; un long séjour à Tunis, où il loue un étage du palais Baccouch, de novembre 1926 au 1er avril 1927 ; plus de deux mois à Alger, où il loue un appartement rue de Richelieu, de la fin de 1928 au 20 février 1929 ; un nouveau séjour à Alger, où il s’installe au 35 du boulevard Saint-Saëns, du 19 septembre 1931 à mars 1932. Cela va jusqu’en 1936, la notice de 1968 est tout à fait claire sur ce point :

   1936. – M. retournera une dernière fois pendant quinze jours à Alger, le 7 février 1936. Il rentre à Paris le 23 février, et cette fois c’est bien le “dernier retour”. Il ne reviendra plus en Afrique. La période des voyages est définitivement close[52].

Et il est inutile de rappeler tout ce qui, de l’Espagne et de l’Afrique, infusa dans l’œuvre, sur-le-champ ou après coup. Entre 1927 quand paraît Aux Fontaines du désir et 1971 quand paraît Un Assassin est mon maître, que d’essais : Pour le Délassement de l’auteur, Hispano-mauresque, Un Voyageur solitaire est un diable, Il y a encore des paradis, Service inutile, Flèche du Sud, que de récits ou de romans : La petite Infante de Castille, Moustique, La Rose de sable, Les Lépreuses, que de poèmes : Encore un instant de bonheur, Pasiphaé[53], ne porteront, peu ou prou, la marque de l’Espagne ou de l’Afrique !

Nous voici presque arrivés à l’entresol du quai Voltaire, mais avant d’y suivre l’auteur des Lépreuses (l’ouvrage a paru en juillet), on reviendra sur deux ou trois circonstances de la période « rue de Bourgogne » telles qu’elles sont consignées dans la notice de 1968.

Il y a d’abord en 1929 l’ambitieux projet qui, s’il n’avait avorté, aurait fait de Montherlant un citoyen de Rome :

   Au printemps il part pour Rome, où il compte séjourner plusieurs mois, avec deux grosses malles de livres et de documents. Il passe sa matinée d’arrivée chez un libraire français, qu’il charge de lui trouver un appartement. Après-midi, coup d’œil au Forum et au Colisée. En revenant, altercation avec le cocher qui l’a ramené, pour un motif futile. Lui, le serviteur[54] et les deux malles reprennent le train le même soir à 7 heures. Ils sont restés exactement vingt-quatre heures à Rome.

Les second et troisième points concernent l’année 1931 et l’année 1936 :

 
 

Le 41 rue de Bourgogne à Paris (1926 à 1939).

   1931. – Loue en juillet et août un atelier boulevard Arago, où il fait venir des modèles.

   1936. – Résidences secondaires : rue du Laos, avenue de Suffren.

Pour Rome, le ratage de 1929 sera compensé par un séjour moins mouvementé en 1947, avec Mathilde Pomès, autre « modèle » d’Andrée Hacquebaut[55]. L’atelier du boulevard Arago, qui est le boulevard des Célibataires, rappelle évidemment celui de 1913 à l’hôtel de la rue Vavin, mais il ne semble pas que Montherlant en ait parlé ailleurs. Et il en va de même pour la « résidence secondaire » de l’avenue de Suffren ; celle de la rue du Laos, en revanche, fut l’occasion, dans les carnets de 1937, d’une note où se retrouve l’amant soucieux de disparaître sans laisser de traces :

   Départ de la rue du L… – Départ des domiciles d’amour, quand le concierge (hostile) doit « faire visiter », quand il faut lui laisser les clefs, et auparavant faire disparaître tous les objets compromettants. Que de tracas ! Mais combien ils étaient compensés par la joie de quitter un de ces domiciles sans y avoir subi d’accroc (malgré ceux évités de justesse), tout bien réglé avec tout le monde, sans qu’il y ait la moindre possibilité de me remettre la main dessus : enfin, en style de commerce, une affaire liquidée, ou, en style de justice, une affaire classée[56].


1939-1972

Le passage de la rue de Bourgogne au quai Voltaire ne se fit pas sans mal. En témoigne le récit qu’en a laissé Élisabeth Zehrfuss, sur le tard de sa longue vie, dans Un autre Montherlant. Ces souvenirs sont inédits et c’est à Henri de Meeûs qu’on doit d’en avoir pu lire les pages où la vieille dame explique comme elle seconda (et le mot est faible) l’auteur des Jeunes Filles dans toutes les démarches liées à ce déménagement[57].

Cela commence par une lettre du jeudi 5 avril 1939 :

   Cher ami,
   J’ai commencé en grand la chasse aux appartements. Les Tuileries se font tirer l’oreille, et la guerre qui recule – au moins cette semaine – consolidera les gens dans les gîtes que nous guettons. Il faudra que vous me donniez la limite extrême de la périphérie que je peux parcourir. Puis-je aller jusqu’au square La Bruyère (Trinité) ?

Lettre bientôt suivie par celle-ci :

   Cher ami,
   Je n’ai plus de semelles à mes souliers, mais j’ai trouvé des choses merveilleuses !
   1° 25 quai Voltaire. Charmant. 4 pièces au 1er étage sur le quai. asc. s. de b. chauf. ind. 13.000 frs (entrée dallée blanc et noir). Gérant : M. Langlois, 4 rue d’Astorg. Anj.07.85.
   2° 7 rue de Solferino. Bien, mais sans aucune fantaisie 1er ét. s. de b. remis à neuf. 5 pièces sur la rue. Asc. 15.000.
   Mais la merveille est 3 place du Palais Bourbon. 5 pièces […]
   Il y a encore un 47 rue de Verneuil dans une maison fort bien. 6 pièces, 18.000 + 2.000 de charges, mais je ne l’ai pas visité[58].

Montherlant donne assez vite un accord de principe pour le quai Voltaire malgré « les inconvénients » que le gérant lui a indiqués ou qu’il a lui-même remarqués, et qu’il égrène dans une lettre du 13 avril à Zehrfuss, avant de donner les raisons qui l’ont poussé à dire oui :

   D’autre part, j’ai interviewé le magasin d’antiquités d’en dessous, que je savais qui connaissait l’ancienne locataire (non sans avoir la satisfaction que mes yeux, durant l’entretien, tombent sur deux livres sur une table : les deux seuls livres du magasin : Les Jeunes Filles et Pitié, et il m’avait dit que la locataire était enchantée de l’appartement). En fin de compte, j’ai dit oui, donné une promesse (« Promis ou juré ? » dit Brunet) ; on me prépare le bail durant mon absence, et je le montrerai à mon avocat à mon retour[59].

Le magasin d’antiquités au rez-de-chaussée est une réalité. Des livres dans un tel magasin, c’est moins courant, et Montherlant l’a bien senti quand il a parlé des « deux seuls livres du magasin », la question étant de savoir s’il a voulu donner plus de vraisemblance à une innocente invention ou si la chose lui avait paru à ce point inattendue qu’il devait par principe s’en étonner. Mais qu’importe. Vraie ou fausse, l’anecdote est de circonstance : Les Jeunes Filles et Pitié pour les femmes, où apparaît pour la première fois le bâtard de Costals, datant de 1936, la citation « Promis ou juré ? » allait presque de soi. Elisabeth Zehrfuss, au demeurant, s’empare de la nouvelle et annonce à Montherlant, par retour du courrier, qu’elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour qu’il soit « installé le 15 juin » dans son nouveau logis. Le déménagement, en fait, fut repoussé au début septembre et la guerre étouffa dans l’œuf « les centaines [sic] de projets » que l’auteur des Lépreuses et son obligeante amie avaient « échafaudés pour cet appartement » :

   Son installation ne fut jamais terminée, et Montherlant vécut au milieu de ses beaux antiques, avec des fils électriques pendant au-dessus de la cheminée du salon. À dater des années de guerre, il devint complètement indifférent à son environnement, et nous ne fîmes plus jamais de projets. Je pus cependant lui faire installer une bibliothèque dans le couloir vitré qui menait de sa chambre à la cuisine par les menuisiers de « l’Écho de Paris » dont je connaissais bien le directeur, André Pironneau […]. Je m’occupai aussi du plombier et de tous les ouvriers nécessaires pour rendre ce logis immédiatement habitable. J’avais hâte de le voir quitter l’affreuse rue de Bourgogne[60].

Montherlant, comme il fallait s’y attendre, n’a pas jugé utile de rapporter par le menu les aléas de son installation au quai Voltaire. Dans son « autobiographie » de 1968, il se contente de signaler qu’elle se fait « pendant la mobilisation[61] » et que le 25 est une « maison de rapport du XVIIIe siècle, où a vécu Musset, d’abord comme jeune homme avec son frère Paul, dans une des mansardes dont M. occupe trois pièces, ensuite, semble-t-il, à l’étage principal, chez sa mère », ajoutant que « le livre de Rochegude sur les rues de Paris indique bien l’escalier à gauche[62] », que « c’est celui qui mène à l’appartement de M. », que « c’est donc celui que montait Alfred de Musset plusieurs fois par jour ».

Pour l’intérieur, on retiendra deux témoignages, celui de Michel Ciry, un peu aigre, qui remonte à juillet 1942 mais ne fut publié qu’en 1971, et celui du plus autorisé des témoins, Marguerite Lauze en l’occurrence, qui date de décembre 1949.

Le jeune Ciry (vingt-trois ans à peine) est venu chez Montherlant avec l’éditeur Henri Lefebvre afin de lui présenter les gravures qu’il a prévues pour l’édition de luxe de La Reine morte :

   L’appartement se trouve à l’entresol. Sombre, on ne saurait le dire meublé, du moins pour ce que j’en vis. […]
   D’un hall crépusculaire et désolé on entre dans une vaste pièce dont l’affectation théorique doit être un salon. En fait, c’est un grand vide que ponctuent sans ordre les masses blanches des marbres antiques, déposés, plutôt que disposés tout autour de la pièce. Au-dessus de la cheminée, la glace est ôtée et le mur à nu, sans peinture, troué par le passage de fils électriques qui pendent assez salement. Mon goût pour l’ordonnance est mis à l’épreuve en ce campement que je crois plus voulu que subi. Point de meubles si l’on excepte un guéridon et un fauteuil Empire dont la pompeuse richesse jure dans ce laisser-aller sans doute étudié, car je me refuse à croire que l’on puisse supporter de vivre dans un cadre pareil si l’on ne porte en soi un penchant très développé pour l’insolite et la mise en scène. De grandes malles sont posées au sol et leurs dos arrondis nous tiennent lieu de sièges[63].

Le regard de Marguerite Lauze sera d’une autre qualité, et encore la version qui en parut dans Plaisir de France en décembre 1949, et qu’on peut lire sur ce site même[64], fut-elle tronquée pour les besoins de l’édition. M. Jean-Claude Barat en a la version intégrale, qu’il nous a généreusement confiée et dont on retiendra ici tout ce qu’elle a d’inédit.

Le hall pour commencer, que Ciry qualifiait de « crépusculaire et désolé » :

   Quand on a franchi le seuil, on pénètre dans un petit vestibule dallé blanc et noir, tout grillagé de baguettes de bois doré comme une volière. Et, si on lève la tête, on aperçoit avec surprise, à travers une rosace d’or, des formes humaines qui se meuvent à l’étage du dessus. Les deux appartements communiquent-ils ? N’allons-nous pas voir la tête d’un esclave noir se pencher et nous épier du plafond ? (le style assez Alhambra de ce vestibule autorise cette fantaisie imaginative). Mais non, c’est une glace de plafond et ce sont nos propres silhouettes qui se reflètent au-dessus de nous.

Le salon, où sont reçus « les étrangers », est à l’image de l’homme et de son art :

   Quelques objets seulement, tous ses antiques, et quelques meubles. Une seule table, qui est presque un guéridon. Des sièges si rares que les reporters les voient souvent au nombre de deux, et, pensant à Montherlant dramaturge, disent : les deux fauteuils de la tragédie, celui du héros et celui du confident (en réalité il y en a cinq). Pas de rideaux ni de voilages aux fenêtres. Pas de tapis (mais un beau parquet luisant). Pas une étoffe. Dans tout cela on sent l’horreur de la fanfreluche, l’horreur de l’inutile, la suspicion même contre l’agrément, qui sont les marques aussi de son art, surtout de son art théâtral, dont on a cent fois célébré la sobriété et le dépouillement.

Marguerite Lauze ne s’étend guère sur les antiques, que Montherlant projetait de décrire lui-même un jour ; elle s’attarde plutôt, comme on peut le lire par ailleurs, sur les « deux fauteuils de Jacob », aux dossiers peints, et sur le fauteuil « dessiné par David » où l’hôte s’installe pour recevoir les visiteurs, mais la lecture qu’elle en fait – et qui campe idéalement l’écrivain entre son Histoire naturelle imaginaire de 1933 et son Bestiaire céleste de 1968 – a ceci de remarquable qu’elle prolonge à sa manière la ferme condamnation que le banni de Sainte-Croix avait formulée en juillet 1912 contre les systèmes et ceux qui les échafaudent[65] :

   Quand vous êtes assis à la « table » du salon, vis-à-vis de l’hôte, vos mains se posent naturellement sur deux têtes de moutons, qui sont les appuie-mains des fauteuils de Jacob, et, vos jambes s’allongeant, vos pieds risquent d’être pris dans un nœud de serpents, motif du pied de la table. Je me suis amusée à dénombrer les espèces animales qui sont figurées dans les antiques ou dans les meubles du salon de Montherlant : le cygne, le mouton, l’oiseau, le bélier, le bouc, la chèvre, le serpent, le griffon, la chimère, le taureau, le lion, la lionne… Et sans doute le style Empire, qui utilisait avec dilection le motif animal, est-il responsable de cette arche de Noé. Mais je pense que Montherlant n’a pas été fâché de mêler aux marbres et aux bronzes des héros, des empereurs, des déesses, des amazones, toutes ces figures bestiales. Autant il me paraît peu sensible au règne végétal, autant le règne animal n’a jamais cessé de hanter son imagination.
   Et pourtant […] c’est tout à fait inconsciemment que cette ménagerie s’est peu à peu constituée. Quand j’attirai sur elle l’attention du maître de logis, il en montra de la surprise. C’est que rien n’est jamais systématique chez Montherlant. Il ne pose pas des lois auxquelles il obéit ; il obéit à des lois qu’il trouve en lui, et dont souvent il a mis très longtemps avant de reconnaître l’existence. Ainsi de la fameuse « alternance », qui n’est pas un système né de l’esprit, mais un rythme de vie.

Le caractère « délibérément inhospitalier » du salon, où « tout semble concerté pour rappeler au visiteur qu’il est un étranger », est bien décrit dans la version de Plaisir de France. Ce qu’on n’y trouve pas, c’est l’énoncé des astuces qu’avait imaginées Montherlant pour éviter que ses hôtes ne s’incrustent, un procédé qui remontait à la rue de Bourgogne :

   Dans ce même sens « mon temps est précieux », rappelons que, lorsqu’il habitait son précédent appartement, rue de Bourgogne, Montherlant avait sur la table unique, un objet unique : un sablier du XVIe siècle, qu’il maniait distraitement pendant que son visiteur lui parlait. Le visiteur comprenait… Ou ne comprenait pas. Et c’est parce que quelquefois il ne comprenait pas que Montherlant a trouvé un nouveau système. L’hiver, le salon est très peu chauffé, et, à l’impression de froid « moral » qui s’en dégage s’ajoute un froid réel, dont l’auteur de la Reine morte ne souffre pas, étant peu frileux, mais qui glace rapidement le visiteur, et précipité son départ. Montherlant m’a dit avoir emprunté ce système à d’Annunzio, qui, lui, surchauffait son salon dans le même but : l’hôte importun, suant à grosses gouttes, et sentant venir la congestion, déguerpissait après un quart d’heure.

Autre procédé, lui aussi importé de la rue de Bourgogne, l’aspect négligé du lieu :

   Parmi les moyens plus subtils qu’a Montherlant de faire sentir aux « gens du dehors » que leur opinion compte peu pour lui, je range son habitude de laisser toujours dans son salon quelque chose qui n’est pas « au point », et qui signifie « Je ne me donne pas la peine, pour vous, de faire arranger cela. » Rue de Bourgogne, il y avait à perpétuité, dans le salon de réception, une caisse, des malles, une valise. À présent, c’est un socle qui n’a pas de statue, un trumeau qui manque et dont l’emplacement vide éclate sur le mur de toute sa blancheur, des fils électriques qui pendent, attendant une applique inexistante. « Moi, cela me suffit très bien ainsi, veulent-ils dire. Donc, vous, vous n’avez qu’à vous en contenter. »
   Montherlant s’amuse beaucoup des journalistes, étrangers pour la plupart, qui se laissent prendre à cet abandon étudié, et, dans leurs reportages, parlent de son intérieur « délabré », ou même, comme il arriva une fois, de la « laideur » de ses meubles. Mais, dans cet ordre, la palme revient au reporter d’un quotidien de Paris, quotidiens à prétentions intellectuelles et artistiques : l’article du journaliste montrait l’écrivain vivant « entouré de ses plâtres ». Les plâtres, c’étaient les marbres anciens !

Ces « plâtres » méritaient qu’on les protégeât, et ils l’étaient en effet, même si leur propriétaire ne voyait plus vraiment les choses en 1949 comme il les voyait aux environs de 1929 :

   Rue de Bourgogne, un système électrique compliqué protégeait les « plâtres » contre le cambriolage possible, et les journaux parlèrent, il y a une vingtaine d’années, de ce visiteur qui, ayant entr’ouvert sans penser à mal une vitrine qui par mégarde n’était pas fermée à clef, reçut une violente décharge et dut être transporté dans une pharmacie.
   Aujourd’hui encore, il y a, dans l’appartement de Montherlant, ce que celui-ci appelle « des prudences ». Et pourtant Montherlant, depuis des années, a perdu ce goût de posséder de beaux objets qu’il avait jadis.

On renoue ici avec le texte qui parut dans Plaisir de France en décembre 1949 et dont la conclusion fait la part du temporel : si Montherlant « n’achète plus d’antiques, c’est en partie parce qu’il ne sait plus où loger ceux qu’il a », et du spirituel : « Mais c’est aussi parce que l’instinct de possession, et peut-être même l’intérêt pour le monde des choses extérieures, se sont affaiblis en lui ».

Il n’est rien décidément, dans tout ce qu’on vient de lire, qui ne s’accorde avec ce que disait déjà en 1935, du temps de la rue de Bourgogne, l’auteur de Service inutile :

   Dans mes domiciles, tout ce qui n’est pas la cellule de travail m’est lourdeur, irritation et remords. S’ils contiennent quelques objets d’art (je dis « d’art » et non « de luxe », le luxe m’ayant toujours causé un frémissement de dégoût et de mépris), ces objets sont comme s’ils n’étaient pas, puisque j’en serais dépossédé sans en souffrir, autrement que dans une bouffée d’humeur[66],

ou ce que dira en 1954, au risque de « se faire mal juger », l’auteur de Port-Royal :

   Dans la pièce de mon appartement où sont reçus les étrangers, il y a depuis seize ans un trumeau qui manque, on voit à sa place le plâtre du mur ; et d’autres négligences de cette sorte, au milieu d’œuvres d’art de grande valeur. Ces négligences sont là pour rappeler au visiteur que ces œuvres d’art ne doivent pas lui faire illusion ; que, même au milieu des œuvres d’art, le principe qui domine en ce lieu est l’indifférence. Cette pièce et ce qu’elle contient ne sont pas des choses importantes aux yeux de celui qui l’habite puisqu’il y fait avoisiner la beauté et le délabrement ; pour lui l’important est ailleurs. Voilà ce que veut dire cet arrangement[67].

Certes le Montherlant de 1954 n’est plus le Montherlant nomade de 1935, mais il faut quand même s’entendre sur le sens qu’il donne au mot voyager. Lorsqu’il dit dans sa notice de 1968 qu’avec son retour d’Alger en février 1936 « la période des voyages est définitivement close », il n’envisage que l’Espagne et l’Afrique du Nord. Laisserait-on de côté l’excursion de septembre 1938 en Angleterre, où il met en lieu sûr ses manuscrits en prévision du conflit qu’il voit venir, et le bref séjour qui s’ensuivit à Londres même, où « il passe chaque journée au British Museum, de l’heure d’ouverture à l’heure de la fermeture[68] », qu’il faut au moins rappeler les nombreux séjours qu’il fit dans le Midi entre 1936 et 1944, à commencer par cette retraite à Nice et à Peïra-Cava pendant l’hiver 1936-1937, dont sortit Le Démon du bien. En fait, Peïra-Cava, Nice, Marseille, Grasse le verront régulièrement, pour toutes sortes de raisons, pendant les années troubles et jusqu’en 1944, quand il compose à Grasse l’acte I de Malatesta[69]. Même après la Libération, Montherlant se déplace encore : on a déjà cité Rome, avec Mathilde Pomès, en 1947 ; il faut y ajouter, pour leurs corridas, Bayonne en 1949 et 1950, et Toulouse, avec Marguerite Lauze, en 1957, sans oublier un séjour à Morzine, en Haute-Savoie, en juillet 1960. Mais enfin l’âge et les ennuis de santé auront raison du Montherlant voyageur. Son ultime « escapade » sera celle de mars 1973 à Rome, lorsque Jean-Claude Barat et Gabriel Matzneff disperseront ses cendres dans le temple de la Fortune virile et en ce point précis du Forum où, dit-on, « Rémus et Romulus furent allaités par la louve[70] ».

Pierre Duroisin


Cour intérieure du 25 Quai Voltaire à Paris.


Remarque liminaire : Le lieu d’édition des ouvrages cités ci-après ne sera pas précisé s’il s’agit de Paris.

[1] Mariage célébré en grande pompe à l’église de la Madeleine le 29 mai 1894, la cérémonie civile ayant eu lieu la veille. Xavier Beguin Billecocq, petit-neveu de Louis Beguin Billecocq, lui-même oncle par alliance de Montherlant et son subrogé tuteur après le décès de Joseph en 1914, a décrit dans Des Montherlant à Montherlant, un ouvrage publié chez l’auteur en 1992, la grande gêne que cachait cette pompe ; il a aussi dit que Marguerite avait pris à l’avenue de Villars un jour de réception où les visiteurs faisaient cruellement défaut (voir les extraits qu’en donne Henri de Meeûs sur son site www.montherlant.be dans « Louis Beguin Billecocq, oncle et cotuteur d’Henry de Montherlant »). Ce n’est sans doute pas un hasard si Costals et Solange Dandillot, « le premier soir de leurs fiançailles », s’assoiront épuisés « sur la marche de pierre qui borde le bas de la grille de la Madeleine », Costals feignant même, pendant quelques instants, de demander l’aumône, et si le même Costals, aux yeux de qui la Madeleine est le temple du syncrétisme et de la disparate, « a pris l’habitude d’y entrer chaque fois qu’il vient de faire une touche sur les boulevards » à la seule fin de « remercier le Génie de sa destinée » (Les Lépreuses dans le vol. Romans 1 de la Bibl. de la Pléiade, désormais désigné R1, p. 1403 et p. 1505-1506 respectivement). Coïncidence ou non, lorsque Montherlant, en 1971, dans une interview sur laquelle on reviendra plus loin, évoque ses premières fiançailles, qu’il situe en 1927, il dit que « cela a commencé sur le trottoir du marché aux fleurs de la Madeleine » (Jean José MARCHAND, Montherlant, Jean-Michel Place, Archives du XXe siècle, 1980, p. 36).
[2] C’est en 1902, paraît-il, que la maison prit le n° 13. Une plaque y figure, où on lit : « Henry de MONTHERLANT / Homme de lettres / est né dans cette maison / le 20 avril 1895 ». On a longtemps affirmé qu’Aragon était né, lui aussi, au 11bis de l’avenue de Villars, et Faure-Biguet, l’ami d’enfance de Montherlant, ne déroge pas à la règle, qui écrit à la p. 49 des Enfances de Montherlant (de neuf à vingt ans), biographie parue chez Plon en 1941, que Montherlant, lorsqu’il fut à l’école Saint-Pierre de Neuilly, y retrouva « Louis Aragon d’un an plus jeune que lui », ce qui est vrai (à la différence d’âge près), mais aussi qu’ « ils s’étaient connus dès l’âge le plus tendre, étant nés dans la même maison », ce que Montherlant, sauf erreur, n’a lui-même jamais prétendu. Jean-François Domenget dira plus justement qu’« Aragon, son cadet de deux ans, a vécu, tout petit, dans l’appartement où Montherlant est né » (Montherlant critique, Genève, Droz, 2003, p. 349), le mot de la fin revenant à Philippe Forest dans sa toute récente biographie d’Aragon : « Les familles des deux futurs écrivains devaient quelque peu se connaître. En tout cas, l’appartement dans lequel les Toucas-Massillon [Toucas étant le nom de la mère d’Aragon et Massillon celui de ses grands-parents maternels] avaient emménagé avenue Villars avait été auparavant celui des Montherlant. » (op. cit., Gallimard, 2015, p. 86).
[3] Tous Feux éteints, Gallimard, p. 139 (parmi les Carnets sans dates et 1972).
[4] Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?, Gallimard, 1973, p. 109. La plaque apposée sur la façade du 106 porte une inscription partiellement inexacte : « Henry de Montherlant / Homme de Lettres / habita cette maison / de 1901 à 1907 ».
[5] Lors du mariage de leur fille, ils habitaient au 18 rue Duphot, pas très loin de la Madeleine.
[6] Les Enfances de Montherlant, p. 9. À ce viveur, Faure-Biguet oppose, p. 11, sa femme Marguerite : « De la gens qu’abrite l’hôtel du 106 rue Lauriston, c’est elle la personnalité la plus forte. »
[7] Jean José MARCHAND, Montherlant, p. 26.
[8] Mais aimons-nous…, p. 110. Dans l’interview de 1971, Montherlant a bien dit de son grand-père qu’« il avait eu cheval et voiture qu’il avait changés pour auto et chauffeur » et qu’il lui semblait « qu’en l’année 1900, il fut un des premiers à avoir une automobile », mais sans donner, comme dans Mais aimons-nous, les raisons qui poussèrent M. de Riancey à préférer l’automobile à l’attelage traditionnel.
[9] Tous Feux éteints, p. 139.
[10] Pour tout cela, voir Le Treizième César, Gallimard, 1970, p. 143, où il faut corriger Charpentier en Carpentier (idem p. 150).
[11] Dans l’article Les Souleveurs de pierres qu’il publia dans Le Figaro du 27 janvier 1933, Montherlant situait la rédaction de son « dialogue moyenâgeux » à huit ans. Le passage à la version romaine y est d’ailleurs plus clairement défini que dans Le Treizième César.
[12] Le Treizième César, p. 144. La rencontre avec Faure-Biguet date de mars 1905, quand ils étaient l’un et l’autre en septième : « J’ai connu Faure-Biguet en 1905, à Janson de Sailly, en classe de septième », dira Montherlant dans un article des Nouvelles littéraires du 6 septembre 1930 où il rendait compte du Gobineau que son ami venait d’éditer chez Plon dans la collection « Le roman des grandes existences ». Quant aux cours particuliers de latin, on avait sans doute voulu, à la rue Lauriston comme dans toutes les familles bien-pensantes de l’époque, prendre un peu les devants pour contourner les effets d’une loi qui avait renvoyé l’étude du latin en sixième.
[13] Une liste qui est forcément incomplète. À ces « éditions » expressément situées à la rue Lauriston, on pourrait peut-être ajouter, par exemple, les sept pages de Capoue, écrites au verso d’une lettre circulaire à l’en-tête d’un « Comité du Souvenir de Bétheny » dont le siège était au 106 de la rue Lauriston (voir « Avant Thrasylle » dans Lire Montherlant, op. cit., p. 119-122).
[14] FAURE-BIGUET, Les Enfances de Montherlant, p. 8.
[15] Id., ibid., p. 44.
[16] On sourira, si l’on veut, de cette petite annonce qui a paru dans la revue de juin 1907 du Touring-Club de France, p. 275, sous la rubrique « A vendre. Cycles » : « Bicy. Hartford, cadre 52, jantes bois, 125 fr. – de Montherlant [sic], 42, bd d’Argenson, Neuilly-sur-Seine. »
[17] Il faut ici dénoncer un télescopage qu’on trouve dans la Chronologie mise en tête du volume Romans 2 de la Bibl. de la Pléiade (désormais désigné R2), où non seulement l’intermède du boulevard d’Argenson fut escamoté, la famille Montherlant passant directement de la rue Lauriston au passage Saint-Ferdinand en mars 1907, mais où la Villa Saint-Ferdinand est décrite comme « un hôtel particulier, en brique, du XVIsiècle [sic] » (R2, p. XLIV). Plus étrange encore, le double escamotage de Xavier Beguin Billecocq qui fait directement passer Montherlant et ses parents de l’avenue de Villars à la Villa Saint-Ferdinand : « L’expérience tentée avenue de Villars n’avait pas réussi. Pour ces causes et d’autres encore, il fut décidé que l’établissement de Paris serait rompu et que le ménage Montherlant viendrait habiter à Neuilly, passage Saint Ferdinand, dans le pavillon entre cour et jardin occupé par Monsieur et Madame de Riancey, leur fils Henry, Messieurs (?) de Courcy – qui seraient les “Célibataires” dépeints plus tard par leur petit-neveu. » (d’après l’article cité plus haut du site montherlant.be). Seul Faure-Biguet est sur ce point fiable, dont la description qu’il donne du 106 rue Lauriston rejoint celle qu’on a lue dans Mais aimons-nous ceux que nous aimons ? : « Il [entendez Montherlant] vit assez à l’écart, dans le petit hôtel particulier en briques, genre maison anglaise, que nous avons aperçu de ma fenêtre [les Faure-Biguet vivant alors au troisième étage d’une maison à l’angle de l’avenue Malakoff, l’actuelle avenue Raymond Poincaré], orné d’une belle serre et d’un minuscule carré de jardin, où s’abritent, avec de nombreux domestiques, six membres de sa famille. » (op. cit., p. 7-8). Il faut dire qu’entre la biographie de Faure-Biguet, manifestement inspirée et vérifiée par Montherlant, et les propos de Montherlant lui-même, l’écart est souvent minime.
[18] R1, p. 7-8.
[19] FAURE-BIGUET, op. cit., p. 45 et en note. Dans son article des Nouvelles littéraires du 23 mars 1929 intitulé « Montherlant et le Démon d’avant midi », Maurice Martin du Gard a décrit la villa comme « un vieil et triste hôtel de Neuilly où dominait le Louis-Philippe ». Un détail que Montherlant seul donnera, la « grille très haute, cinq ou six mètres, qui clôturait une des extrémités de la villa » (Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?, p. 108).
[20] Il s’agit de Philippe Giquel, le Serge de La Ville dont le prince est un enfant et des Garçons, à qui Christian Lançon a consacré un important article intitulé « Philippe Giquel, le prince des airs » qu’on lira sur le site montherlant.be.
[21] À relever ici une étrangeté : à la p. 37 des Enfances de Montherlant Faure-Biguet cite un roman de lui intitulé Les Aigles et daté de 1908, mais portant la mention suivante : « Éditeur H. M., 26, 28 rue Pierret, Neuilly-sur-Seine. » Or le 26-28 est à l’un des angles de la rue Pierret et du passage Saint-Ferdinand. Si les Faure-Biguet avaient habité là en 1908, l’auteur des Enfances n’aurait pas manqué de le signaler et comme il est peu probable que les Montherlant soient passés de la rue Pierret au passage Saint-Ferdinand, il doit s’agir d’une erreur du jeune éditeur.
[22] FAURE-BIGUET, op. cit., p. 46-47 et 51 respectivement. On peut lire une version de ce conte commencé en janvier 1908 et achevé en janvier 1909 dans la revue Le Livre et l’estampe, XIX, 1973, n° 75-76 de la Société royale des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique ou dans le tiré à part publié par ladite Société en 1974.
[23] Voir à ce sujet « Thrasylle dans La Vie en forme de proue de Henry de Montherlant ou L’art de ne rien perdre » dans le Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 2015, 2, p. 144-173.
[24] On n’a ici retenu que les deux termes essentiels du taurinus furor.
[25] Au lieu d’octobre 1910 à cause d’une appendicite malicieusement prolongée par un convalescent rebelle à l’idée de fréquenter une autre école que celle où il retrouvera l’ami de Saint-Pierre.
[26] Elle a voulu mener, semble-t-il, aussi longtemps qu’elle en eut la force, une vie mondaine, comme le suggère l’Annuaire Paris-Hachette des Adresses mondaines de 1912, où on lit ceci à la p. 261 : « MONTHERLANT (Cte Joseph de) (et C[tes]se née Marguerite de RIANCEY, Mardi). 1, Villa St-Ferdinand à Neuilly. H ». Mardi désigne le jour où Madame reçoit et la lettre H, le Cercle Hoche, où l’on pratique notamment l’escrime. Inutile d’ajouter que les titres de comte et comtesse que s’octroient les parents de Montherlant sont usurpés. L’écrivain lui-même le dira sans ambages dans une lettre du 15 mai 1957 à Philippe de Saint Robert : « Je n’ai nul droit à ce titre de comte que vous me donnez, dont qq. ancêtres (au XVIIIe siècle), mon père, et moi-même dans ma jeunesse, s’affublèrent fort misérablement. » (cité à plusieurs reprises par Ph. de Saint Robert, en dernier lieu dans Montherlant ou l’indignation tragique, Hermann Éditeurs, 2012, p. 144).
[27] Ainsi qu’il l’a dit dans le mot de présentation du Chant funèbre pour les morts de Verdun (voir le vol. Essais, désormais désigné E, de la Bibl. de la Pléiade, p. 177).
[28] R1, p. 1137.
[29] FAURE-BIGUET, op. cit., p. 125. Faure-Biguet ajoute improprement la peinture au dessin. Dans la fameuse interview de 1971 en effet, Montherlant a raconté comment, « un certain lundi de 1913 », alors qu’il avait « dix-huit ans », il avait « découvert les modèles qui attendaient au pied du mur, au coin de la rue de la Grande-Chaumière et du boulevard Montparnasse », et comment le dessin – en précisant bien : « pas la peinture, je n’ai jamais peint, je n’aime pas la couleur d’ailleurs » – lui avait « en même temps servi de merveilleux prétexte pour connaître de jeunes personnes qui ont été les premières de [s]a vie » (voir Jean José MARCHAND, Montherlant, p. 29).
[30] On en trouve une trace dans les croquis reproduits dans Les Enfances de Faure-Biguet (en regard de la p. 122) et surtout dans les croquis 69 à 78 reproduits dans l’album Montherlant Dessins publié en 1979 par Copernic.
[31] Dans Le dernier Retour, ce sera : « Une petite Syracusaine me disait… » (E, p. 426) ; pour Le Treizième César on pense aux pages décrivant un marbre qui fut « tiré de la mer en face de Syracuse » et du coup appelé par l’auteur – mais est-ce bien sa seule raison ? – « La Syracusaine » (op. cit., p. 71-75). Cela dit, il faut surtout relire, avec Faure-Biguet, la page du Démon du bien où Costals se remémore « certain réveil inoubliable qu’il avait eu, à dix huit-ans » – l’âge de Montherlant en 1913 – quand il avait senti « sur le côté droit de sa nuque » le canon d’un revolver que sa maîtresse, « une Italienne de seize ans », avait posé sur l’oreiller dans l’intention évidente de le tuer pendant son sommeil (R1, p. 1304). La même fille était aussi, Christian Lançon l’a bien noté, dans la version de 1929 des Garçons : « Il avait quelque talent pour le dessin. Il loua un atelier à Montparnasse et eut sa première maîtresse, une petite Syracusaine de quinze ans » (R2, p. 1388). Il ressort enfin de certain feuillet du fonds Montherlant du Musée Richard Anacréon de Granville que Montherlant avait pensé écrire un roman ou un récit intitulé La Syracusaine.
[32] Montherlant, même si ses intentions étaient claires, ne s’exprimait alors qu’à demi-mots : « Partout il y a des choses et des êtres qui sont à prendre. » Il ne livrera le fond de sa pensée qu’en 1927, quand il fera paraître une seconde version de son texte, d’abord dans Chanteclerc, le 8 octobre 1927, sous le titre Appareillage, puis dans Aux Fontaines du désir sous le titre Appareillage, et leur sinistre patience (E, p. 295-296). Que ce départ ait été prévu d’assez longue date, on a aussi la preuve par une lettre que Maurice Martin du Gard a envoyée à Montherlant, Villa Saint-Ferdinand, le 22 septembre 1924, et qu’on trouve dans le fonds Montherlant de la BnF (dans NAF 28165, Le Songe, 1, chemise I, « Notes dont documents relatifs au Songe »). Le post-scriptum en est révélateur : « Maître Boissard a-t-il accueilli votre chatte ? »
[33] « Voyageur traqué, il ne fut pas toujours un voyageur solitaire […] : à Madrid, à Tolède, il a été reçu comme un hôte de marque, succédant, en 1925, à Claudel pour donner une conférence à l’Institut Français de Madrid » (voir « Montherlant essayiste » dans Lire Montherlant, op. cit., p. 199, note 33). La conférence s’intitulait, si l’on en croit le compte rendu qu’en donna Henri Mérimée dans Les Nouvelles littéraires du 27 juin 1925, « Conversations avec Maurice Barrès : de l’ambition au dédain » ; elle fut reprise dans les Essais critiques publiés en 1995 sous le titre « Barrès vu en 1925 » (op. cit., Gallimard, p. 9-21).
[34] C’est ici qu’un appel renvoie à la note sur le serviteur engagé à Marseille en novembre 1925, le seul point sur lequel on est porté à émettre des réserves étant « novembre » : « septembre » serait sans doute plus exact.
[35] La facture, qui se montait à 565,50 francs, plus 150 frs de pourboire au personnel, est dans le fonds Montherlant de la BnF, NAF 28165, 16, Varia, chemise VI.
[36] Voir ici aussi le fonds Montherlant de la BnF dans NAF 28165, Les Bestiaires, f° 24.
[37] Il y est question d’un article « retrouvé aux Nouvelles Littéraires et [qui] va passer incessamment » ; il s’agit probablement de « Sport et littérature. Un précurseur du roman sportif : Louis Hémon », qui parut aux Nouvelles littéraires le 6 février 1926. Au dos de cette lettre, qui fait partie du lot 227 vendu chez Drouot le 22-12-2014 et qui me fut obligeamment communiquée par Henri de Meeûs, on trouve le début de Terre d’Aragon, ou du moins une version du texte qui parut sous ce titre dans L’Intransigeant du 9-3-1926.
[38] Feuillet non folioté du fonds Montherlant de la BnF dans NAF 28165, 16, dans la chemise « Textes à identifier ». L’objet de la lettre est strictement familial ; il concerne la vieille Mme de la Verteville, qui se rétablit d’une fracture du col du fémur dans son château de Razay à Céré, sans doute Jeanne Marie « Noémie » de la Motte Saint Pierre, qui décédera en 1930, à l’âge de 86 ans, dans son château de Razay précisément, et qui avait épousé en 1862 Ernest Charles Millon de la Verteville (1828-1898).
[39] C’est l’adresse attachée à son nom dans le tome XXV, 2e partie, année 1926, des Mémoires de la Société académique d’archéologie, sciences et arts de l’Oise publiés à Beauvais par les soins de l’Imprimerie départementale de l’Oise. Jean de Montherlant y est repris parmi les membres perpétuels à la date du 1er janvier 1927. Le tome XXIV, 2e partie, donne son adresse précédente à Paris : 32 boulevard Pasteur.
[40] « Mon oncle Jean, interrogé pourquoi son nom ne figure pas dans le Tout-Paris : “Pour que les cambrioleurs sachent où j’habite !” » (E, p. 1094) et « Sitôt que mon oncle Jean me dit du bien d’un de nos parents, je sais ce qui va suivre. “Ta cousine est une excellente personne, qui ne ferait pas de mal à une mouche, et ce n’est jamais moi qui t’en dirai du mal. Mais enfin je pense que je ne t’apprendrai rien en te disant qu’elle est tout à fait folle.” » (E, p. 1095), ces deux notes datant de l’automne 1933. Jean de Montherlant, né en 1869, est décédé sans postérité en 1949.
[41] Pour ce projet de biographie, voir « Henry de Montherlant “entre les deux mondes” : la leçon des manuscrits, I et II » dans Anabases, E.R.A.S.M.E., Université de Toulouse-Le Mirail, n° 16-2012, p. 49 et sv., et n° 17-2013, p. 165 et sv.
[42] Voir Les Enfances de Montherlant, p. 176.
[43] Moustique, La Table Ronde, 1986, p. 113.
[44] Pour ce texte qu’on peut situer entre 1932 et 1934, voir « Le Foyer d’infection ou Les leçons de la vie nomade » dans Actualité(s) de Montherlant, Babel, Université du Sud Toulon-Var, Faculté des Lettres et Sciences humaines, n° 27-2013 [2014], p. 73-85.
[45] Même alors, il lui arrive de déloger. Le folio 71 du manuscrit des Bestiaires, pour ne citer que cet exemple, prouve que le 28 juillet 1925, il est au Château de Larive par Montlignon, en Seine et Oise.
[46] Moustique, p. 129.
[47] Les meubles ont été stockés chez Nortier en janvier 1925 et on est en mai 1926, il faudrait donc, en principe, quelque chose comme « quinze mois ».
[48] Ce relevé est celui qu’avait dressé Henry de Riancey : « Quelle émotion pour moi quand j’aurai à rouvrir ces trente malles et caisses faites par lui avec quels soins et quelles attentions ! », s’écrie Montherlant dans la lettre qu’il envoie de Madrid à sa tante Marie de Courcy quand il apprend, en mars 1925, le décès de celui qu’on surnommait Noute. Dans Les Célibataires, ce sera Léon de Coantré qui se chargera de cette besogne et qui dira à sa nièce : « J’ai fait des listes où sont marqués les principaux objets qui se trouvent dans chaque caisse, avec en regard le numéro de la caisse. » (R1, p. 820).
[49]Moustique, p. 131-132. Ce désordre et ce laisser-aller, Michel Raimond l’a bien noté, seront transposés dans La Rose de sable, où Guiscart, « ayant à Paris un grand appartement, conçu pour recevoir, le laissait tel exactement que l’avaient laissé les déménageurs, c’est-à-dire en disposition de garde-meuble « (R2, p. 137 et p. 1312-1313 pour le rapprochement que fait M. Raymond).
[50] La Décade de l’illusion, Gallimard, 1950, p. 94. Rappelons que ladite décade va de 1922 à 1932.
[51] Extrait d’une lettre inédite aimablement communiquée par H. de Meeûs. Ce « M. Hazard » n’est autre que Paul Hazard. Une autre lettre de Poirier à Montherlant datée du 18 juin 1931 – et qu’on doit de même à H. de Meeûs – nous apprend en effet qu’il était du jury lorsqu’elle soutint sa thèse sur Chateaubriand.
[52] Les guillemets encadrant « dernier retour » font référence à l’essai de 1929 inséré dans Un Voyageur solitaire est un diable. Le dernier carnet « africain » est bel et bien daté « Alger : du 7 au 23 février 1936 » (E, p. 1177). On notera par ailleurs que ce dernier séjour à Alger ne visait qu’à échapper à l’hippogriffe nuptial.
[53] Que son auteur qualifie, ne l’oublions pas, de « poème dramatique » et qu’il a conçu en 1927 alors qu’il était à Tunis : « Je passais ma journée dans les champs, dira-t-il en 1971, à voir des taureaux faire ce que font en général des taureaux. On les entendait beugler et je vivais vraiment dans une atmosphère pasiphaesque. » (cf. Jean José MARCHAND, Montherlant, p. 64).
[54] Ledit serviteur, si on se rappelle ce que Montherlant a écrit plus haut de lui, ne peut être que Vincent, alias Moustique, qui lui restera attaché jusqu’en 1931.
[55] Séjour qui se situa entre le 17 octobre et le 4 novembre et que M. Pomès a décrit dans À Rome avec Montherlant publié en 1951 aux Éditions André Bonne.
[56] E, p. 1235-1236. L’événement se situe à l’extrême fin de 1937. Le décalage avec la notice de 1968, où il est question de 1936, n’est donc pas considérable. Dans l’Album Montherlant de la Bibl. de la Pléiade, p. 165-166, se sont ajoutées aux « résidences secondaires » de la rue du Laos et de l’avenue de Suffren celles de la rue de Grenelle et de la rue Anatole de la Forge, où, soit dit en passant, se trouvait, au n° 11, le siège du « comité de l’Œuvre du Souvenir des Défenseurs de Verdun (Ossuaire de Douaumont) » du temps que Montherlant en était le Secrétaire général. Ici encore, on fera le rapprochement avec La Rose de sable, où Guiscart, même en métropole, multiplie les domiciles : « À N***, il avait trois domiciles ; à Paris, quatre. Ici une petite maison, là un appartement, là un atelier, chacun d’eux sous un nom d’emprunt, ou un prête-nom, bien entendu. […] Ces logis n’étaient pas qu’en vue de l’amour. Il passait de l’un à l’autre pour dépister les gens (surtout des femmes) à ses trousses, ou simplement parce que c’était là son moyen d’« évasion » sans quitter la ville. » (R2, p. 139).
[57] Sous-titré Journal, Souvenirs, Correspondance, ce dactylogramme ne compte pas moins de 770 pages. Henri de Meeûs a expliqué dans l’article 22 de son site www.montherlant.be les circonstances qui l’amenèrent à rencontrer Elisabeth Zehrfuss (1907-2008), et comment elle lui accorda de prendre une copie d’Un autre Montherlant. Les curieux retrouveront la trace de cette amie de l’écrivain dans Les Enfances de Montherlant de Faure-Biguet, p. 78 en note.
[58] Un autre Montherlant, p. 474 et 475. La date attribuée à la première lettre est à reconsidérer, le 5 avril 1939 étant un mercredi ; la seconde lettre n’est pas datée.
[59] Ibid., p. 478-479.
[60] Ibid., p. 479.
[61] Inutile de rappeler que la France commença de mobiliser le 2 septembre et que le lendemain elle déclarait la guerre à l’Allemagne.
[62] Voici ce qu’écrit très précisément Félix de Rochegude : « Alfred de Musset y habita (sur le petit escalier de gauche sous la voûte) » dans Promenades dans toutes les rues de Paris - VIIe Arrondissement, Hachette, 1910, p. 89-90.
[63] Extrait de Michel CIRY, Le Temps des promesses, Journal 1942-1949, Plon, p. 24.
[64] C’est le n° 60 dans la rubrique Articles sur Montherlant.
[65] Dans une lettre de juillet 1912 qu’on trouve dans Les Enfances de Faure-Biguet aux p. 108-109. Et il vaut la peine de noter que le début de cette lettre où Montherlant fustige les « Pères Système » : « La vie est un océan dont les moralistes, les philosophes, enfin les doctrinaires de tout acabit prétendent faire le quadrillé de petites parcelles d’eau calme qu’est un marais salant ou un parc à huîtres », est reprise à peu près telle quelle dans le Carnet XX, daté « Alger : du 21 mai 1931 à novembre 1931 » (E, p 1011).
[66] Dans l’Avant-propos de Service inutile (E, p. 580).
[67] Notes sur Port-Royal dans le vol. Théâtre de la Bibl. de la Pléiade (désormais désigné T), p. 935-936.
[68] Les visites au British Museum ont donné quelques pages du Carnet XXXV, où on lit aussi que « la plupart des notes prises au British Museum ont été détachées de ce Carnet, en vue du catalogue d’une collection d’antiques » (E, p. 1264). Le projet de catalogue, resté sans suite, est probablement celui auquel Marguerite Lauze faisait encore allusion en 1949.
[69] Voir T, p. 428.
[70] On relira ici, de G. Matzneff, « Le Tombeau de Montherlant » dans Le Défi (Nouvelle édition revue et augmentée), La Table Ronde, 1977, p. 182-205.