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Articles sur Montherlant (hors presse)

70. Montherlant et l'Afrique du Nord, par Georges-Pierre Hourant

Ce texte fut publié dans la revue L’Algérianiste en décembre 2000.

De 1925 à 1936, Montherlant mène une vie errante. Il a un appartement à Paris où il revient fréquemment, mais il se déplace sans cesse autour de la Méditerranée, tel un de ces " voyageurs traqués " dont il fait l’un de ses titres. Il visite Marseille, Milan, puis l’Espagne, mais surtout l’Afrique du Nord. Il fait de nombreux séjours à Tanger, à Fez, à Oran, à Tunis, mais c’est à Alger qu’il reste le plus longtemps, quatre ans au total. Pourquoi ces voyages ? Pourquoi l’Afrique du Nord ?

 
 

Henry de Montherlant vers l'âge de vingt ans.
(coll. Particulière).

Un espace de liberté

En 1925, il est âgé de trente ans, il est déjà un auteur connu. Il a écrit des romans autobiographiques qui renvoient à des passions juvéniles, comme Les Olympiques, qui sont un hymne au sport, ou Les Bestiaires, un hymne à la corrida. Il y a fait l’apologie du courage et du sacrifice et il passe pour un aristocrate bien-pensant, un disciple de Barrès, un écrivain un peu emphatique. A un lecteur attentif apparaîtraient déjà pourtant des dissonances, en particulier cette " incohérence des êtres " qu’il attribue à ses héros, tel Alban de Bricoule, le jeune matador qui masque ses hésitations derrière un héroïsme apparent. Cette dualité est celle de Montherlant lui-même ; déjà lassé de son personnage officiel, il veut maintenant " se consacrer à ses désirs et à ses plaisirs ". L’Afrique du Nord, cet Orient français, lui semble propice à satisfaire ce goût pour la " féerie ", d’autant qu’il y vivra souvent dans l’anonymat : il va voyager sous plusieurs identités, multiplier les domiciles et les aventures féminines, mais aussi les " amitiés particulières " pour reprendre le titre d’un livre célèbre de Roger Peyrefitte, avec qui il entretint une correspondance révélatrice, publiée après sa mort.

Si l’Afrique du Nord est un espace de liberté et de fantaisie pour sa vie privée (c’est pourquoi le détail de sa vie à cette période reste mal connu), elle l’est aussi pour les textes qu’elle lui inspire. C’est une œuvre en quelque sorte parallèle, puisque les trois principaux romans de Montherlant resteront longtemps quasi clandestins. En effet, Moustique est écrit en 1929, mais c’est un ouvrage posthume, paru en 1986 ; Un assassin est mon maître, écrit en 1932 ne sera publié qu’en 1971, un an avant sa mort ; et La Rose de Sable, terminé en 1932, ne sera publié sous sa forme complète qu’en 1968 ! Quant à l’essai Il y a encore des Paradis, images d’Alger, s’il est bien publié dès 1935, il ne l’est que chez un éditeur local (Soubiron, à Alger). Mais pourquoi le statut de ces œuvres est-il si marginal ? (1).

Un petit roman d’aventure

Moustique est un petit roman d’une centaine de pages. Il raconte quatre ans de l’adolescence du héros éponyme. De son vrai nom Vincent Gutierez, " On l’appelle Moustique ", dit sa mère dans son langage familier, " tellement embêtant. Pareil un moustique ". Avec sa mère, il vit à Alger, au quartier de la Marine où il est né, jusqu’à l’âge de douze ans, puis à Marseille, où le rencontre le narrateur. Celui-ci l’emmène avec lui comme serviteur, dans sa vie nomade, à Paris, en Espagne, et au Maroc ; à l’image de Montherlant, qui s’était fait accompagner dans ses voyages par un jeune garçon, mais arabe celui-là. Aventures canailles, milieux et langage populaires, et un héros qui ressemble à un vaurien, et qui fait parfois penser au célèbre Cagayous de Musette, tout permet de classer ce roman dans le genre picaresque, préfiguré dans l’Antiquité par un romancier africain, Apulée de Madaure, auquel se réfère d’ailleurs l’auteur. On comprend le désir de Montherlant de le garder sous le coude, tant il est différent du reste de son œuvre ! En 1975, pour raconter les aventures insolites du jeune Momo, le héros de La Vie devant soi, un autre écrivain à la personnalité tourmentée, Romain Gary, trouvera une solution différente, en s’inventant pour la circonstance un double littéraire, Émile Ajar.

Un gros roman d’amour

Beaucoup plus classique, La Rose de Sable, un gros livre de six cents pages, n’en traduit pas moins la complexité de l’auteur. Montherlant l’écrivit presque entièrement pendant un séjour à Alger, dans son appartement du boulevard Saint-Saëns. Il y écrivait tous les jours, de sept heures du matin à deux heures de l’après-midi, puis, dans la seconde moitié de la journée, il " sortait et roulait " dans les rues d’Alger, incognito, jusque dans le milieu de la nuit. Tel Pierre de Guiscart, l’un des deux héros du roman, un peintre célèbre et cultivé, qui vit à Alger, et qui est aussi un collectionneur de femmes et un aventurier un peu. Mais le héros principal, c’est le lieutenant Auligny, un jeune homme de vingt-huit ans, élevé dans un milieu catholiq ue et bourgeois. Nommé chef du bordj de Birbatine, une oasis marocaine des confins algériens, il a une liaison avec Ram, une jeune arabe de quatorze ans : amour vénal, mais auquel se mêle bientôt une véritable affection. A travers elle, il a même peu à peu la sensation d’avoir une ouverture sur l’âme musulmane, de découvrir la " question indigène ", au point de douter de sa mission et de refuser de se battre contre des insoumis. Convoqué par son colonel à Fez, il y retrouve son ami Guiscart, mais tous deux sont surpris par une émeute contre les Français ; Guiscart en réchappe, mais Auligny est tué.

Sa mort est le symbole de l’échec de son rêve de justice et de fraternité, mais surtout de son inconsistance. Qui est celle aussi de tous les personnages, car, selon l’auteur " chacun de nous est un monstre d’incohérence… l’homme ne paraît conséquent que lorsqu’il s’est arrangé pour la galerie. Les caractères qui se tiennent n’existent qu’au théâtre et dans les romans ". Pas dans ceux de l’auteur en tout cas, qui dénonce avant tout les clichés. On peut être un don juan et un cynique comme Guiscart, sans être méchant ni débauché ; on peut être plein de bonnes intentions comme Auligny et commettre lâchetés et injustices. On peut être une prostituée comme Ram et garder un comportement d’enfant, capable de tendresse.

Ce goût du paradoxe, valable pour les portraits, l’est aussi pour les descriptions. Libre aux orientalistes ou à un André Gide (rencontré à Alger par Montherlant) de célébrer avec lyrisme la beauté des palmeraies, Auligny, lui, cherche en vain de l’ombre dans celle de Birbatine, " où il se prenait la figure dans de véritables nuages de toiles d’araignées… et se piquait les doigts aux pointes acérées des palmes… ".

 
 

Couverture du livre de Montherlant
p Alger en 1935, par le peintre Léon Carré.

La question indigène

Mais Montherlant aborde aussi, par exception, l’actualité politique. Il s’est vivement intéressé à la " question indigène ". Il a rencontré un officier des Affaires indigènes, le capitaine et écrivain Odinot, dont il a lu les ouvrages peu favorables à la politique française au Maroc (2). Il se sert surtout de ses propres observations, et, pour les compléter, il visite les postes et les villages des confins, notamment en Algérie celui d’Igli, qui sert de modèle au Birbatine de son roman.

Ces observations et cette documentation aboutissent à un tableau pittoresque de la vie des Arabes. Le narrateur remarque, par exemple, leur goût pour la vente d’objets minuscules " qui n’ont de nom dans aucune langue, et sont à peine des choses… afin que l’acheteur puisse revenir sans cesse " ; leur goût pour la position assise, lorsqu’il évoque ces " buveurs de soleil, accroupis douze heures durant, et les douze autres heures allongés au pied des murs du bordj " (que l’on pense aux de l’Algérie d’aujourd’hui, littéralement " ceux qui tiennent les murs ! " ; ou encore leur goût du secret : “éternel instinct de l’Arabe : cacher ses richesses, cacher ses femmes, cacher sa vie, parce que, dans ce pays, on est toujours sous la menace d’être dépouillé ".

Le pittoresque n’exclut pas la réflexion : si Auligny s’indigne, à son arrivée à Tanger, de voir des femmes arabes chargées comme un âne, il croit comprendre, plus tard, que " les orientaux n’aiment la femme que tant qu’ils sentent en elle l’enfance : physique d’où l’extrême jeunesse des filles aimées et épousées en Islam ; morale, et c’est pourquoi au foyer, ils lui font une condition qui est celle de l’enfant… l’enfance est pour eux comme un troisième sexe ".

Mais la satire, aussi, est présente. Il arrive à Guiscart de critiquer l’attitude parfois humiliante de certains Français vis-à-vis des Arabes. On relève des comportements malhonnêtes, tel celui de ce trafiquant qui met sous séquestre toute une palmeraie, sans indemniser les propriétaires des jardins. On s’interroge sur l’enseignement : l’un des fils d’un caïd a été envoyé au lycée par son père dans une grande ville marocaine " afin d’y recevoir une éducation française XXe siècle… A peine sorti du lycée, il venait montrer combien il avait profité de la civilisation roumi : pincé dans une affaire d’argent et de stupéfiants, il n’était rien moins qu’en prison ".

Mais s’il est vrai que le roman contient des critiques contre certains comportements en Afrique du Nord, on n’en saurait pour autant faire de Montherlant un écrivain anticolonialiste. Ces critiques sont émises à l’époque où s’achève la pacification du Maroc, tandis que l’Algérie française est à son apogée avec les fêtes du Centenaire, qui entraînent une importante propagande. Or, Montherlant déteste les clichés et les modes, et il veut montrer ce qu’il pense être la réalité toujours plus complexe que les apparences simplificatrices.

Selon lui, la réalité est régie par le principe d’alternance : tout le monde a raison, écrit-il dans " Aux fontaines du désir ", la loi et le hors-la-loi, le Marocain et le gouvernement qui le mitraille ". En 1935, lorsqu’il obtient un prix littéraire, il en abandonne le montant et le partage entre soldats français et dissidents marocains. A Alger, il souhaite élever, rue d’Isly, en face de la statue de Bugeaud, une statue " aux indigènes morts en défendant leur sol contre nous ". Mais une telle dualité n’était-elle pas celle, justement, de l’Algérie française ? Rappelons qu’en 1946, une statue à Abd-el-Kader fut dressée en Algérie par la France, dans le village natal de l’émir, près de Mascara, et ceci à la grande satisfaction de Jean Pomier, fondateur de l’Algérianisme (3). Mais dans l’Algérie F.L.N., seule est dressée, rue d’Isly, une statue d’Adb-el-Kader, à la place de celle de Bugeaud en exil.

Ce principe d’alternance amène Auligny, à côté des critiques, à faire aussi l’éloge de l’action de la France en Afrique du Nord. "Les Arabes, s’interroge-t-il, sont-ils moins heureux qu’ils ne l’étaient avant les Français ? ". Et il se demande "si, tout compte fait, ces hommes ne se trouvaient pas bien d’être ainsi sous la coupe d’autres hommes qui se donnaient tout le mal, faisaient tout pour eux, et moralement ou matériellement, construisaient partout quelque chose dont eux, ensuite, ils n’avaient qu’à jouir ". Latins et Arabes, qui ont en commun d’être "des nerveux, des passionnés", ne sont-ils pas faits pour s’entendre ? Guiscard en voit pour preuve cette nostalgie de l’Algérie qu’éprouvent les Français de ce pays qui prennent leur retraite en France, et qu’il appelle " nostalgérie " (ce néologisme, sans doute créé par Montherlant, aura, hélas, comme on sait, l’occasion d’être employé à une plus grande échelle et dans d’autres circonstances à partir de 1962 !). Cette entente entre Arabes et Européens, ne se réalise-t-elle pas surtout grâce à l’armée ? " Des images passaient en lui, de confiance et de collaboration. Ces dissidents, qui, faisant leur soumission, offrent de verser leurs armes, mais on les leur laisse… et les voici qui nous défendent, de ces crêtes d’où jusqu’alors ils nous envoyaient des balles… Ces revues où les harkas ennemies, contre lesquelles nous nous battions la veille, défilent au galop, mêlées à nos troupes. ".

Alors, critiques et éloges s’annulent-ils dans un roman d’un scepticisme stérile ?

"L’idée coloniale est saine"

Certes, l’auteur renonce aux poncifs sahariens ; mais la poésie n’est pas absente, elle jaillit de l’harmonie entre l’oasis et ses habitants : ”le cri d’un enfant rebondissait en écho sur le mur du bordj ; bientôt, il n’y avait plus d’autres bruits que des cris d’enfants, comme si c’était la lumière qui jetait ses cris… ".

Certes, la liaison entre Ram et Auligny est évoquée sans naïveté, et le sentimentalisme du jeune officier est objet de railleries ; en maints passages pourtant, une véritable émotion affleure, lorsque le narrateur évoque la "grâce florale" de Ram, cette "rose ce sable", tantôt froide et inerte comme cette pierre, tantôt délicate et passionnée.

Car la satire aboutit, dans ce roman, à la bienveillance : tous les hommes finissent par se valoir dans leur complexité, ils ne sont "ni bons ni méchants - redoutables et quand même bien dignes d’être aimés". Et, si une certaine conception caricaturale de l’honneur est dénoncée, y compris au sein de l’armée, d’autres valeurs, plus authentiques aux yeux du narrateur, sont exaltées, comme le renoncement : ”Le geste typique de l’aristocratie, si elle a conscience d’elle-même, est de renoncer ; elle a le 4 août gravé dans son cœur… Quand l’oiseau de race est pris, il ne se débat pas, dit le proverbe marocain… C’est être prince que ne pas se justifier ".

Aussi la solution du problème colonial est entre les mains de chaque communauté : ”l’idée coloniale est saine, pense Auligny, elle est une lampe qui éclaire un monde affreux où finiront bien par se retrouver la pitié du colonisateur et la gratitude du colonisé". On cite souvent, il est vrai, une réplique d’une tragédie de Montherlant (4) : ”Les colonies sont faites pour être perdues. Elles naissent avec la croix de mort au front". Mais il s’agit des colonies espagnoles d’Amérique du Sud, et ces phrases sont prononcées par un personnage dégoûté de tout. On peut leur préférer une autre formule, plus complexe, donc plus proche sans doute de la pensée de l’auteur, et prononcée par Auligny : ”Les colonies sont comme les hommes : nées avec des vices, elles acquièrent des vertus".

Soyons reconnaissants en tout cas à l’auteur pour ses scrupules : il n’a pas voulu publier La Rose de Sable en 1932 : “par suite des menaces allemandes et italiennes qui pesaient alors sur l’Afrique du Nord, nos ennemis, écrit-il (5), auraient pu exploiter les critiques contre la présence française contenues dans le livre" . Pas plus qu’il ne le fit pendant les tragiques événements de 1954 à 1962, à une époque où " l’armée française souffrait et mourait pour une cause sacrifiée (5)". Avant 1968, il se contenta de faire paraître des extraits du roman, notamment en 1954, L’Histoire d’amour de la Rose de Sable, qui contient seulement l’intrigue amoureuse, détachée de la partie politique et rendue cohérente au moyen de quelques raccords.

 
 

Alger, le square Bresson (coll. Particulière).

Encore un roman insolite

Dès 1932, Montherlant écrivait aussi un autre roman, au titre inquiétant : Un assassin est mon maître : Exupère, le héros ou plutôt le contre-héros du livre, est un archiviste parisien névrosé, voire masochiste, muté en 1928 à Oran, puis à Alger où il est fasciné par Saint-Justin, son chef, qui dirige la Bibliothèque franco-musulmane des Facultés. Mais celui-ci finit par le mépriser, et Exupère sombre peu à peu dans la déchéance et la folie, avant de retourner en métropole et d’y mourir en clochard. Tué, en quelque sorte, par Saint-Justin (d’où le titre du livre), mais aussi par l’indifférence générale. Loin d’être un écrivain de la grandeur, comme on le croit pour ses œuvres majeures, Montherlant est ici (plus que jamais !) un écrivain de la faiblesse humaine, donnant ainsi de lui une image inattendue d’où, sans doute, la publication si tardive.

On peut faire de ce roman une lecture psychanalytique, comme nous y invite l’auteur lui-même, en se référant explicitement à Freud, mais sans son habituelle ironie d’ailleurs. Mais pour ce qui nous intéresse ici, notons d’amusantes évocations d’Alger, de ses jardins, de ses petits cinémas, de ses restaurants, ainsi que l’emploi du pataouète, plus fréquent encore que dans Moustique : Montherlant n’a rien à envier à Camus. Et notons aussi l’évocation de l’écrivain et poète Claude-Maurice Robert (6), que Montherlant avait bien connu à Alger, et dont il fait la caricature sous le nom de Manoussié, si collant et si " épateur " qu’il est peu flatteusement surnommé " Colle d’épate ". Comme son modèle, il vit tantôt à Alger, tantôt à Bou-Saâda, où il est guide pour touristes ; comme lui, il s’habille souvent en arabe, il est très pauvre et il n’hésite pas à solliciter ses amis, y compris le pauvre Exupère. Un modèle que, dans sa Correspondance, Montherlant surnommait familièrement "le tapeur" !

Alger en 1930 : un Paradis

Nombre de descriptions d’Alger dans ce roman seront utilisées dans l’essai paru en 1935 chez Soubiron : Il y a encore des Paradis, sous-titré images d’Alger 1928-1931, orné de 52 héliogravures, avec une couverture du peintre Léon Carré (7). L’ouvrage disparut ensuite de la liste des œuvres de Montherlant, qui n’y fit plus qu’une seule et brève allusion. Volonté d’effacer toute trace de "complicité avec le colonialisme", à l’époque où celui-ci fut discrédité par une certaine intelligentsia ? C’est ce que soupçonne Jean Pomier, rappelant dans sa Chronique d’Alger, ses relations contrastées avec l’auteur (8). Mais, quoi qu’il en soit de ses éventuelles faiblesses en tant qu’homme, c’est dans son œuvre que Montherlant, comme tout écrivain, met le meilleur de lui-même. Et, comme l’accorde Jean Pomier, Il y a encore des Paradis demeure un beau livre, où Montherlant se dit " citoyen algérois, de même que Stendhal se voulait citoyen milanais ". Il y dit son amour pour cette " vrai grande ville ", pour son " atmosphère de jeunesse ", pour " la beauté de ses filles ", pour Bab-El-Oued, pour le square Bresson et pour le Jardin d’Essai, " une des plus belles réussites de la France en Afrique du Nord ", pour la mer toujours présente.

Conclurons-nous encore que Montherlant est sceptique ? En tout cas, il ne prétend pas, lui, nous donner de leçons : ”après quatre ans d’étude de la question indigène, écrit-il dans ses Carnets (9), ma faculté de juger s’est atténuée comme drap qui s’amincit par l’usage ". Et sachons gré à ce sceptique d’avoir vraiment aimé Alger ; sachons-lui gré aussi d’avoir écrit en 1971, qu’il "séjourna quelque six ans en Afrique du Nord pour son seul plaisir et qu’il n’éprouva que de la sympathie pour les Français de cette terre, sympathie encore accrue par les souffrances qu’ils ont supportés depuis (10)".

Et tous les Algérois avec eux. Car qui oserait dire, de nos jours, qu’Alger est encore un Paradis (11) ?

Notes

  1. Outre les ouvrages cités, voir aussi, sur l’Afrique du Nord : Poèmes d’inspiration africaine (en prose), dans Encore un instant de bonheur (1934) ; nouvelles : Palais Ben Ayed, sur le séjour de Montherlant en Tunisie, paru dans Aux Fontaines du désir (1927) ; La chienne de Colomb-Béchar et Un vainqueur élève-t-il une statue au vaincu ? parus dans Service inutile (1935) ; Inédits nord-africains, précédés d’une étude de Guy Dugas (éditions du Donjon, Chartres, 1995) ; Carnets (années 1930 à 1944), publiés en 1957. Précisons enfin que Il y a encore des Paradis a été réédité chez Arléa en 1998.
  2. La première communion d’Abd-el-Kader ; Géranium ou la vie d’une femme marocaine. 3 - Jean Pomier, Chronique d’Alger, p. 146 à 156 (La Pensée Universelle, 1972).
  3. Le maître de Santiago, (1947), acte I, scène IV.
  4. Avant-propos à La Rose de Sable (1967).
  5. évoqué aussi dans La chienne de Colomb-Béchar et dans les notes de l’auteur sur Moustique. Auteur de poèmes et d’essais (L’Amazone des Sables, le vrai visage d’Isabelle Eberhardt, Soubiron, 1934 ; L’envoûtement du Sud, Baconnier, 1934).
  6. Léon Carré (né à Granville en 1878, mort à Alger en 1942), élève de la villa Abd-el-Tif, vécut en Algérie à partir de 1909. Il participa aux Expositions coloniales de 1922 et 1931, fit des décorations murales pour le Palais d’été du gouverneur et pour la mairie d’Alger, et illustra de miniatures le Livre des mille et une nuits.
  7. Jean Pomier, op. cit. p. 77 à 94 et 136 à 145.
  8. Carnets (années 1930-1944), p. 101, Gallimard.
  9. Un assassin est mon maître, note ajoutée par l’auteur, Gallimard, p. 5. 11 - Au contraire, bien des Algériens, de nos jours, emploient ce mot pour désigner l’Algérie française. Songeons à des exemples aussi différents que celui d’Aït Ahmed (le Figaro-Magazine, 24 février 1990) ou de Boualem Sansal (Le serment des Barbares, Gallimard, 1999).