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Articles sur Montherlant (hors presse)

58. Montherlant vu par Alain de Benoist

Ce texte est paru sous le titre "Autorenporträt : Henry de Montherlant", dans la revue allemande Sezession, Albersroda [lieu de publication], n° 30, juin 2009, pp. 2-6. La version française est inédite.

 
 

Journaliste, écrivain et philosophe,
Alain de Benoist est né en 1943
et a écrit une œuvre considérable.

Montherlant a touché à peu près à tous les genres littéraires : le roman, la nouvelle, l’essai, le récit, la poésie, les carnets, le théâtre. Mais à chaque fois, c’est dans sa propre vie qu’il a trouvé le ressort principal de son œuvre, non d’une façon platement narcissique (comme tant de romanciers d’aujourd’hui), mais en s’appuyant sur des épisodes de son existence vécue pour leur donner une dimension supérieure.

Henry (Millon) de Montherlant est né à Paris le 20 avril 1895 – il dira parfois : le 21 avril, désireux de faire coïncider sa naissance avec la date anniversaire traditionnelle de la fondation de Rome –, dans une famille en partie noble d’origine picarde (par son père) et champenoise (par sa mère). Son père décède en 1914, son éducation est laissée à la charge de sa mère, morte en 1915 qui lui donnera très tôt le goût de la littérature. Le livre de Henry Sienkiewicz, Quo Vadis  ?, dont sa mère lui fit la lecture, lui laissera un souvenir impérissable, en même temps qu’il lui inspirera le culte de cette antiquité romaine où païens et chrétiens s’affrontèrent durablement. Dans ce livre, on trouve déjà des thèmes qu’il abordera tout au long de son œuvre : la Rome antique, les taureaux, l’amitié et le suicide. Evoquant sa jeunesse, il dira : “ J’étais fou de mes Romains comme Don Quichotte de ses héros de chevalerie ”.

Son renvoi, en mars 1912, du collège Sainte-Croix de Neuilly lui fournira, de même, la matière de deux de ses œuvres, La ville dont le prince est un enfant (théâtre, 1951) et Les garçons (roman, 1969), où s’entremêlent les thèmes de l’éducation religieuse et des “ amitiés particulières ” entre garçons de 14 à 16 ans. “ Toutes les amitiés qui ont été retenues par l’histoire, écrira-t-il, ont pris naissance au collège ou sur les champs de bataille ”.

Nourri dans sa jeunesse par la lecture de Friedrich Nietzsche et de Barrès, il y trouve un idéal de courage et une initiation à l’éthique de l’honneur. Durant la Première Guerre mondiale, il est affecté en 1916 au service auxiliaire, puis versé dans le service actif, ce qui lui vaut une blessure par éclat d’obus, qu’il exploitera dans sa première pièce, L’Exil, écrite en 1914, et dans son premier roman, Le Songe, publié en 1922. Après la guerre, il devient secrétaire général de l’Œuvre de l’Ossuaire de Douaumont (association destinée à recueillir des fonds pour la construction d’un ossuaire) et publie un admirable Chant funèbre pour les morts de Verdun (repris en 1932 dans Mors et vita).

Le texte est une longue méditation sur la mort où, au passage, il cite Fritz von Unruh et Gœthe. Montherlant s’y remémore les combats auxquels il a participé : “ Ces dunes, cet air, et, ma foi, cette étoile vacillante, c’est mon pays. Un instant j’en ai été le défenseur ; j’ai été le bouche-trou. Nous avons des choses à nous dire. Je regarde ce grand corps pas heureux avec une effusion qui ne finira jamais ”. “ Il y a plus d’emploi de tout ce qui fait l’homme, dans trois mois de guerre, que dans toute une vie de paix ”, affirme-t-il aussi. Mais il se garde bien de prononcer une apologie de la guerre : “ Si on veut supprimer la guerre, il faut donner aux hommes de cœur, et notamment aux jeunes gens, quelque chose de même valeur qu’elle ” […] Il faut ramener dans la paix les vertus de la guerre […] J’appelle une paix où nous provoquerons, systématiquement, toutes les occasions du courage et de l’oubli de soi ”. On pense ici à Ernst Jünger.

Dans les années 1920, il se tourne vers le sport, notamment l’athlétisme et le football, qu’il place sous le signe du “ dieu de l’amitié ”. Dans les stades, il croit retrouver la fraternité des tranchées et célèbre, dans Les Olympiques, les vertus du corps dénudé, athlétique et viril, et la beauté des visages féminins “ étales comme la mer ”. Il s’essaie aussi à la corrida, qui l’a toujours fasciné et qu’il identifie à un sacrifice religieux. On le voit toréer lui-même des toros. Admirateur des civilisations méditerranéennes – Rome bien sûr, mais aussi l’Espagne et le monde arabe –, il y fait de nombreux voyages. C’est à Séville qu’il écrit Les Bestiaires, son premier succès. Après le Maroc et la Tunisie, il vit quelques années durant dans l’Algérie coloniale et, dans les années 1930, rencontre André Gide à Alger. Il y écrit un gros roman “ anticolonialiste ”, La Rose de sable, dont le héros est un jeune officier de l’armée française et dans lequel il dénonce les excès de la colonisation. Il en publiera par la suite des fragments, mais l’œuvre complète ne sortira qu’en 1968. Montherlant a longtemps hésité à le faire paraître au motif que sa publication intégrale aurait “ nui aux intérêts d’une France affaiblie ”. La réalité de son anticolonialisme est établie par la correspondance qu’il entretenait alors avec le commandant Paul Oudinot, lui-même ouvertement hostile au colonialisme.

Alors que ses toutes premières œuvres, refusées par les éditeurs, avaient été publiées à compte d’auteur, il se rend rapidement célèbre, d’abord avec Les Célibataires, qui reçoit en 1933 le Grand Prix de l’Académie française, puis avec la publication (entre 1936 et 1939) des quatre volumes formant le cycle romanesque des Jeunes filles qui se vendront à plus d’un million et demi d’exemplaires et le feront connaître dans le monde entier. Ces ouvrages lui vaudront une durable réputation de misogyne, qu’on est en droit de trouver injustifiée. Montherlant, en fait, s’y livre surtout avec virtuosité à une analyse psychologique du tempérament féminin et de ce qui l’oppose au tempérament masculin. Il ne s’y pose pas en adversaire des femmes (il aura d’ailleurs, durant toute sa vie, d’innombrables admiratrices, et ce sont surtout ses lectrices qui assurèrent le succès des Jeunes filles), mais laisse entendre que les hommes et les femmes appartiennent en quelque sorte à des espèces distinctes – et que le mariage (l’“ hypogriffe ”) est une prison dans laquelle le héros des Jeunes filles, Pierre Costals, refusera finalement de s’engager (tout comme Montherlant lui-même qui, en 1934, finit par rompre ses fiançailles avec celle qu’il devait épouser).

Patriote sans jamais avoir été nationaliste – il aime la France à la façon dont le vieux Caton aimait sa patrie –, il ne s’est jamais engagé politiquement. Dans les années 1930, il publie néanmoins de nombreux articles hostiles à l’Allemagne nationale-socialiste et dénonce avec vigueur les accords de Munich. Son livre L’Equinoxe de septembre, paru en 1936, sera d’ailleurs interdit par les autorités allemandes sous l’Occupation. Mais un autre de ses livres, dont le titre répond au précédent, Le Solstice de juin, consacré à la bataille de France en mai-juin 1940, lui vaudra au contraire une réputation de collaborateur. Il y décrit la croix gammée comme un nouvel avatar de la “ Roue solaire ” et exalte l’héroïsme individuel qui seul permet d’“ échapper aux choses qui ne dépendent pas de nous ”. Sous l’Occupation, il se tient à l’écart de la vie politique, refuse en 1941-42 de participer à Weimar au “ Congrès des écrivains européens ”, mais participe de près à la vie littéraire et noue des relations étroites avec certains membres de l’Institut allemand, tel Heinz-Dieter Bremer, qui traduisit plusieurs de ses œuvres et trouva la mort sur le front de l’Est en 1943. Cela lui vaudra des ennuis à la Libération.

A partir de la Deuxième Guerre mondiale, sa production théâtrale s’intensifie. Après l’immense succès de sa Reine morte (1942), Malatesta (1946), Le Maître de Santiago (1947), Port-Royal (1954), Brocéliande (1956), Don Juan (1956), Le Cardinal d’Espagne (1960), pièce diffusée par la télévision allemande le 21 avril 1967, au moment des funérailles d’Adenauer, La Guerre civile (1965), lui donnent l’occasion d’exposer une morale altière, dont les représentants, hantés par leurs passions, finissent souvent trahis ou perdus. Il y traite avec insolence des choses graves. Il évoque le conflit de la mystique et de la politique, la tragédie de la grâce et celle du pouvoir, la persécution des valeurs nobles dans une société qui ne laisse se développer que ce qui plaît au plus grand nombre. Ainsi qu’il le dit lui-même, il décrit d’autant mieux les défauts des hommes qu’il les a d’abord étudiés en lui.

En mars 1960, il est élu membre de l’Académie française, sans avoir observé la règle qui veut que l’on en fasse la demande. A cette date, on lui a consacré d’innombrables ouvrages, et nombre de ses livres ont fait l’objet d’éditions de luxe illustrées par de grands artistes (Cocteau, Mariette Lydis, Pierre-Yves Trémois, etc.). Il a aussi été largement traduit à l’étranger, notamment en Allemagne.

Ayant à demi perdu la vue, et craignant de devenir totalement aveugle, Henry de Montherlant, qui a toujours honoré le suicide, décide de se donner la mort. Ne laissant rien au hasard, il a choisi son jour : le 21 septembre 1972, jour de l’équinoxe, à ce moment de l’année où toutes choses – ombre et lumière – sont égales, il se tire une balle dans la tête à son domicile parisien, au milieu de ses bustes antiques, conformément aux principes romains qu’il avait exaltés durant toute sa vie. Ceux qui l’accusaient depuis longtemps de s’être affublé d’un masque, ne peuvent cette fois que constater sa fidélité à lui-même. Julien Green dira : “ Ayant inventé un personnage tout de bravoure et d’éclat, [Montherlant] s’y est conformé jusqu’à la fin ”. Agissant selon ses instructions, son exécuteur testamentaire, Jean-Claude Barat, et son ami Gabriel Matzneff disperseront ses cendres sur le Forum de Rome, à mi-distance du Temple de Vesta et de celui de la Fortune virile.

Montherlant est assurément l’un des plus grands écrivains français du XXe siècle. Il suffit d’ouvrir au hasard n’importe lequel de ses livres pour se laisser immédiatement emporter par la richesse et la beauté d’une langue classique qu’il a maniée mieux que personne.

Le grand principe de sa vie, souvent mal compris, a été celui du syncrétisme et de la dissociation, de l’alternance et de la complémentarité des contraires. Vision héraclitéenne, qui emprunte au spectacle de la nature : “ La nature alterne en elle-même le jour et la nuit, le chaud et le froid, la pluie et la sécheresse, la sérénité et la tempête ”. Certains lui ont reproché d’avoir mené une “ double vie ” ou d’avoir cheminé “ masqué ” durant la plus grande partie de son existence. Il en tenait en réalité pour l’idée que les contraires se rejoignent et s’équivalent : la mort et la vie, la guerre et la paix, l’héroïsme et l’hédonisme, la morale chrétienne et la morale antique, le bonheur charnel et l’élévation spirituelle, la ferveur et la sensualité, la violence et la charité, le goût de construire et celui de détruire (aedificabo ad destruam), le oui et le non, le catholicisme et le paganisme, le Tibre et l’Oronte, le courage et le carpe diem. Déjà, dans Mors et vita, on lisait : “ Il n’y aurait pas d’ombres s’il n’y avait pas de lumière, et la lumière travaille sur de l’ombre ”. “ Deux doctrines opposées, explique-t-il dans L’Equinoxe de septembre, ne sont que des déviations de la même vérité ”. C’est pour cela qu’il dit à la fois approuver et réprouver le christianisme, après avoir été séduit tour à tour par le stoïcisme et le jansénisme.  Il y avait quelque chose de Prussien chez cet amoureux de la Méditerranée, et beaucoup de goût pour le plaisir chez cet homme qui révérait la rigueur et la “ pureté ”. Les gens, dit-on, ne croient qu’aux sentiments qu’ils peuvent éprouver eux-mêmes. Montherlant les a tous éprouvés.

Montherlant est avant tout un moraliste, mais d’une espèce particulière. Dans ses œuvres, qu’il s’agisse de ses romans – depuis Les Bestiaires (1926) et Les Célibataires (1934) jusqu’à La Rose de sable (1968), Le Chaos et la nuit (1963), ou Un Assassin est mon maître (1971), – de ses Carnets (Va jouer avec cette poussière en 1966,  La Marée du soir en 1972), de ses Essais ou de ses pièces de théâtre, il ne prône certes pas ce que Nietzsche appelait la “ moraline ”. Mais il convie à l’altitude. Ce qu’il invite le plus à mépriser, c’est la vulgarité, le mensonge, le sentimentalisme, le goût de l’utilité, la mesquinerie et surtout la bassesse. Ne pas être bas, viser à la hauteur  !

Dans la “ Lettre d’un père à son fils ”, on lit : “ L’essentiel est la hauteur. Elle vous tiendra lieu de tout. En elle je comprends le détachement, car comment prendre de la hauteur sans se détacher  ? Elle vous serait une patrie suffisante, si vous n’aviez pas l’autre. Elle vous tiendra lieu de patrie, le jour où l’autre vous manquera ”. Dans La Reine morte, l’une des répliques les plus célèbres est celle-ci : “ En prison  ! En prison pour médiocrité  ! ” “ La Vie en forme de proue ” est le titre de l’un de ses livres ; “ La Possession de soi-même ” le titre d’un autre. Etre en possession de soi-même, c’est être à la hauteur de l’idée que l’on se fait de soi. C’est respirer à la bonne hauteur. C’est posséder et dominer sa propre existence au milieu des sollicitations de toutes sortes, pour la plupart futiles, que nous impose le monde extérieur.

Avec La Relève du matin (1920) et Les Olympiques (1924), ses deux plus grands essais sont à coup sûr Mors et vita (1932) et Service inutile (1935).

Mors et vita (1) contient un court texte intitulé “ Allocution à des étudiants allemands ”, qui date de 1929. Cette allocution n’a jamais été faite de vive voix, mais contient des propos dont Montherlant dit qu’il les aurait prononcés s’il s’était rendu en Allemagne (où il avait été plusieurs fois invité). “ Le patriotisme, écrit-il, c’est le respect de l’ennemi, parce que le patriotisme sait ce que c’est que la patrie, et qu’elle est bonne la même des deux côtés ”. On y lit aussi : “ Il nous faut admettre, Messieurs, qu’un jour notre devoir soit de nouveau de nous tuer les uns les autres. Cette éventualité doit être envisagée avec calme : il y a pis que mourir ”. Chez Homère, lorsque Achille tue Lycaon, il lui dit : “ Alla philos, Meurs, ami  ! ”

Le titre de Service inutile à lui seul révélateur. Le goût du service relève de l’idéalisme, la conviction qu’il est inutile du réalisme. Mais l’idée la plus forte est que le service n’est pas nécessaire bien qu’il soit inutile, mais plus encore pour cette raison même qu’il est inutile. Critique de l’utilitarisme, apologie de la gratuité.

L’ouvrage contient, entre autres, l’admirable “ Lettre d’un père à son fils ” : “ Les vertus que vous cultiverez par-dessus tout sont le courage, le civisme, la fierté, la droiture, le mépris, le désintéressement, la politesse, la reconnaissance, et, d’une façon générale, tout ce qu’on entend par le mot de générosité ”. Montherlant précise que la fierté est le contraire de la vanité, et que le mépris “ fait partie de l’estime ” : “ On peut le mépris dans la mesure où on peut l’estime ”. Il ajoute : “ Il n’y a pas de haine sérieuse qui ne contienne du mépris. Par exemple, je ne hais pas les Allemands, parce que je ne les méprise pas. Un des signes du déclin de la France est qu’elle ne soit plus capable de mépris ”.

Plus loin, on lit encore : “ Il importe peu que vous aimiez ou non votre prochain. Mais ne recherchez pas son amour. D’abord, parce que celui qui vous donne son amour vous prend votre liberté. Ensuite, parce que chercher à plaire et la pente la plus glissante pour piquer droit vers le plus bas niveau ”. Montherlant prône la discipline et l’ascèse, mais jamais le goût de la mortification ou de la souffrance inutile. Tout au contraire : “ Vous entendrez dire que la volupté exclut la spiritualité, exclut la charité, etc. C’est une imposture […] Le bonheur est un état bien plus noble que la souffrance : quand l’humanité avait une cervelle saine, les dieux qu’elle créa, elle les fit heureux ”.

Et il conclut : “ Un jour, vous me direz peut-être que les conseils que je vous ai donnés ne sont pas adaptés à un homme moderne. A coup sûr : les vertus que je demande de vous sont les plus nuisibles à qui veut “réussir” dans le monde moderne. Mais je ne vous ai pas fait pour que vous fussiez un homme de tel ou tel monde, mais un homme tout court ”.

Montherlant fut une sorte de mélange de Gœthe, d’Alfred de Vigny, d’Ernst Jünger, de Gabriele d’Annunzio, de Hans Blüher et de Pasolini. Comme beaucoup d’auteurs “ de droite ”, il en tenait pour une conception de la vie où l’éthique fusionne avec l’esthétique, la première se ramenant souvent à la seconde. Il citait volontiers cette maxime : “ Nous servons pour l’honneur et pour le plaisir, non pour le profit ”. C’est que l’honneur et le plaisir peuvent aller de pair avec la hauteur, tandis que la recherche du profit s’apparente inévitablement à la bassesse.

Nietzsche disait que les âmes fortes “ cachent pudiquement leur vie intérieure ” parce qu’elles en connaissent le prix. L’idée sur laquelle Montherlant revient sans cesse est que la qualité condamne à la solitude : “ Des divers moyens que vous avez aujourd’hui de vous faire haïr de vos compatriotes, le plus sûr est d’avoir des sentiments élevés ”. Le meilleur moyen de plaire – les hommes politiques ne s’en privent pas –, c’est de viser bas.

“ On reconnaît un homme libre à ce qu’il est attaqué simultanément ou successivement par les partis opposés ”, disait-il aussi. Dans La Guerre civile, le chœur affirme : “ L’honnêteté est la patrie de ceux qui ne veulent plus en avoir d’autre. Et cette patrie est un exil ”. Montherlant s’est toujours senti en exil, et c’est pour cela qu’il a cherché à se protéger. Ce n’est pas pour rien que Philippe de Saint-Robert l’a décrit comme un homme “ séparé ”. Dans Service inutile, il écrit : “ Je n’ai que l’idée que je me fais de moi pour me soutenir sur les mers du néant ”. Et, un quart de siècle plus tard : “ Chaque vertu cardinale de l’homme est pour lui une cause de solitude ”. Ou bien encore, dans La Possession de soi-même : “ Tout ce qui est bien, tout ce qui fait quelque chose de bien, ou s’y efforce, est toujours une minorité. Et les gens d’une minorité se sentent toujours en exil ”.

Il disait : “ Dix ans après ma mort, tout le monde m’aura oublié ”. Il n’avait pas totalement tort. On joue encore, de temps à autre, les pièces de Montherlant, mais les nouvelles générations le connaissent peu. Il est à certains égards tombé dans l’oubli. Les sentiments qu’il prétait à ses personnages semblent être tout simplement devenus incompréhensibles à nos contemporains. Le relire aujourd’hui donne le sentiment de retrouver un autre monde.  “ Tout ce qui n’est pas littérature ou plaisir est temps perdu ”, disait Montherlant. Il n’a certes pas perdu le sien. Il a aussi marqué le nôtre.

Alain de Benoist

(1) Une traduction allemande Mors et vita avait été envisagée sous l’Occupation aux éditions Esche, de Leipzig. Elle n’a jamais été publiée, Montherlant ayant refusé d’expurger son livre de la nouvelle intitulée “ Un petit Juif à la guerre ”.