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Articles sur Montherlant (hors presse)

18. Montherlant vu par Robert Poulet, critique belge (1893-1989)

 
   

1. Aveux spontanés (1963)

Henry de Montherlant ou le génie sans légende

“Il arrive au pas militaire. Il a l’air d’un ancien adjudant de cavalerie. On s’attend toujours que, jetant le masque, il traite son visiteur de Turc à More et lui assène une de ces formules qui se dressent dans ses livres comme des serpents furieux, dont le sifflement signifie : ‘Je fais ce qu’il me plaît’ ou : ‘Le monde ne m’est rien’. Mais pas du tout, personne n’a le geste plus accueillant, le sourire plus aimable. Il reçoit les gens autant dire au Louvre, dans le Cabinet des Antiques. La moitié du salon est occupée par des torses, par des bras, issus de Dieu sait quels naufrages helléniques ou carthaginois. Montherlant s’assied de côté, avec des façons de grand nerveux qui se maîtrise.”

“Ce qui, chez Montherlant, vient de telle ou telle tradition, de telle ou telle lignée, saute aux yeux. Mais ensuite on cherche en lui autre chose, qui ne vient de nulle part, et qui, somme toute, comme le personnage lui-même, ne s’explique pas.”

2. Billets de sortie (1975)

Exit Henry de Montherlant (1896-1972)

“Il m’avait dit un jour : ‘Je ferai comme Drieu’. Puis il avait nié me l’avoir dit. Plus récemment, comme je l’interrogeais sur ses intentions, à la suite des épreuves pénibles qui lui avaient été infligées, il m’avait répondu : ‘Je tiendrai tant que je disposerai de la puissance créatrice.’ Sans cacher qu’il prêtait à cette expression un double sens… (…)”

“Tels sont les propos qui me sautent à la mémoire alors que j’apprends qu’il s’est donné la mort de Sénèque. Je ne l’y attendais pas si tôt.”

“En réalité, c’était un écrivain, avant tout. Un grand écrivain, le plus grand écrivain vivant, bien qu’il ne laisse aucun chef-d’œuvre. Rien que des ouvrages contestables, inégaux - et irremplaçables -.”

“Quand, plus tard, on évaluera la moisson littéraire de notre époque, on commencera par lui chercher un centre. Où le trouver ailleurs que sous la plume de cet aristocrate qui méprisait son siècle, auquel son œuvre tourne le dos, en l’exprimant malgré elle, et qui s’est arrangé encore pour sortir de scène sans laisser voir quel homme, réellement, il était ?”

N.B. : Ces extraits ont été publiée dans l’hebdomadaire PAN, le 27 septembre 1972

3. Le kaléidoscope (1982)

Éminents Henry de Montherlant

“Le chef-d’œuvre de cet homme public (dans ses écrits) et secret (dans sa vie) fut de se dérober à la littérature, tout en la dominant sans effort ni conteste. (…)”

“Petit, bien proportionné à vingt-cinq ans, l’éphèbe grec qui se métamorphose à volonté en poète ou en philosophe ; la tête durement sculptée, avec des traits fins, un air d’énergie et d’exaspération. Un mépris universel qui, soudainement, se fondait en interrogation, voire en supplication. (…)”

“(…) Il faudra remettre en lumière Le songe, Les jeunes filles, La reine morte, Malatesta, les ‘Carnets’, la moitié des Célibataires. Alors on verra qu’aucune œuvre contemporaine ne peut, dans son ensemble, rivaliser avec celle-là, bien qu’elle ne contienne rien d’immense, ni de neuf, ni d’accompli. En attendant, force est de discuter, d’analyser et de conclure. Henry de Montherlant, grand écrivain, le premier de sa génération et peut-être de son siècle, n’avait pas de génie. Pas plus que Malherbe, que Racine, que Voltaire. Il est mort par goût de l’indépendance. (…)”

N.B. : Ces extraits ont été publié dans Écrits de Paris, n°384, octobre 1978


“Avant-guerre, avec Les Jeunes filles et Pitié pour les femmes (1936) : peut-être le seul Français vivant, avec Léautaud, qui dispose d’un langage absolument personnel.” (Parti-pris, Bruxelles et Paris, Les Ecrits 1943, p. 48)

“A la fin, le nietzschéen, frotté de christianisme honoraire, qu’on vit si fringant au moment où le monde s’offrait à lui comme un désert plein de fraîcheur et de proies chaudes, s’est mué peu à peu en un vieil hobereau qui administre son bien avec rigueur et scepticisme, à la veille d’une révolution.” (Aveux spontanés, Paris, Plon, 1963, p. 16)

“Aucun écrivain du passé ni de l’avenir n’aura fait entendre le même son de voix, n’aura fait humer le même parfum. (…)” (Aveux spontanés, Paris, Plon, 1963)

“Un grand écrivain, le plus grand écrivain vivant, bien qu’il ne laisse aucun chef-d’œuvre. Rien que des ouvrages contestables, inégaux- et irremplaçables. (…) un grand poète, le plus grand, vraisemblablement de tout ce siècle.” (Billets de sortie, Pan, 1975)

“Il y a les invitations qui ne se refusent pas. Celles de Céline par exemple. Ou de Montherlant, qui, à l’été 71, invite Poulet à déjeuner “pour lui poser force questions sur la façon dont Hemingway, Zweig, etc., ont mis fin à leurs jours”, soit quelques mois avant son suicide… Montherlant, qui lui déclarait : “Il ne restera de vous que Contre l’amour”. Mais ajoutait : “Et de moi, cette réplique de La Reine morte : En prison pour médiocrité.” Cependant entre Poulet et l’auteur de Malatesta, ce n’était pas une véritable amitié, car Montherlant n’était l’ami de personne. Plutôt une familiarité, un compagnonnage agréable, qui n’a pas engagé mon cœur (Poulet) comme ce fut le cas avec Céline, Drieu La Rochelle ou Brasillach, qui furent, pour moi (Poulet), de véritables amis.” (cité dans Marc Laudelout, Robert Poulet, romancier de l’invisible et moraliste sans illusion, mai 1982, NEM)

N.B. : Ces extraits sont tirés du gros ouvrage écrit par Jean-Marie Delaunois, Dans la mêlée du XXème siècle, Robert Poulet, le corps étranger, aux éditions De Krijger, Belgique (Erpe), 2003, 539 pages.