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Articles sur Montherlant (hors presse)

7. Une relève à l'aube de ce siècle

“ …un bel hommage de la jeune génération ”

Un personnage de Philippe Le Guillou dans Après l’équinoxe.

Tous ceux qui ont lu le premier roman de Gabriel Matzneff : L’Archimandrite, publié en 1966, ont en mémoire ces lignes où le héros, sautant sur la plate-forme de l’autobus 24 à l’arrêt du pont Saint-Michel, en descend “ quelques minutes plus tard à l’arrêt Solférino-Bellechasse, après avoir salué au passage […] les fenêtres closes de l’appartement de Montherlant1 ”. Hommage qui se renouvellera six ans plus tard avec un personnage de Nous n’irons plus au Luxembourg, Me Béchu, dont le mot de prédilection sera (et pour longtemps, car Béchu, à ce jour, continue d’animer les romans de Matzneff) celui que Montherlant a tant de fois cité : “ Le pire est toujours certain. ”

Nous n’irons plus au Luxembourg est le dernier livre qu’ait lu Montherlant2. On sait de quelle façon le monde s’acharna sur sa dépouille, comme pour réaliser sa vieille prédiction de 1931 : “ Mes œuvres, toujours outragées, c’est moi, comme un prince en habits de parade, que la populace traîne par des crocs, respirant encore, jusqu’aux égouts3 ”, et valider l’amer constat qu’il avait dressé en 1960 dans Thrasea le séparé, qu’une œuvre importe moins qu’on ne croit et que “ pour abattre un auteur ”, il suffit de “ chercher à déconsidérer en lui l’homme4 ”. Des écrivains fidèles à sa mémoire se sont efforcés, dans les années quatre-vingt-dix, de lui rendre justice, mais comme leurs livres n’avaient pour eux ni le bénéfice du ragot ni l’étai du scandale, on ne les reçut pas avec la même attention5.

Mon propos, cependant, est d’un autre ordre. Ce qu’on a dit, après 1972, touchant l’auteur du Solstice de juin et des Garçons tenait le plus souvent de la critique ou de l’essai, et il ne semblait pas qu’on dût revoir de si tôt un personnage de roman qui saluait Henry de Montherlant ou un écrivain qui se réclamait de lui. Or voici que sa figure et son œuvre sont à nouveau honorées, depuis quelques années, dans la littérature de fiction ou par ceux qui s’y sont illustrés. C’est de cette renaissance qu’il sera ici question.

*

Le premier nom qui vienne à l’esprit est celui d’Amélie Nothomb. Sollicitée pour la “ Journée Montherlant ” du 25 septembre 2007 à Bruxelles, la romancière, tout en regrettant de ne pouvoir en être, eut ce mot de reconnaissance qui émousse, épointe les banderilles de Simone de Beauvoir et de bien d’autres :

J’admire votre projet de journée Montherlant. Cet auteur a beaucoup compté pour moi durant mon adolescence et il est toujours l’un de mes écrivains préférés. […] Sachez que ce refus me coûte. Je me console en pensant que je n’aurais de toute façon pas été à la hauteur. Il est si difficile de dire son admiration6.

Et ce n’est pas une pose. L’auteur de Biographie de la faim (le livre n’est certes pas présenté comme un roman, mais il ne s’affiche pas non plus comme une autobiographie7) a longuement parlé, en 2004, de ses appétits littéraires. Ils commencèrent avec Tintin et la Bible8, bientôt suivis de l’atlas et du dictionnaire, à leur tour suivis de Quo vadis  ?, de Colette, de Mishima, de La Chartreuse de Parme et de bien d’autres livres, parmi lesquels l’Iliade et l’Odyssée qu’elle s’obligea à retraduire “ avec fièvre ” quand elle fut, à quinze ans, au pire de l’anorexie9. Elle émergea de son mal pour se retrouver dans une chambre où vivre, plus que jamais, se confondait avec lire. Elle découvrit alors le cancrelat kafkaïen de La Métamorphose, qui lui renvoyait une image d’elle-même, et puis, ô merveille :

Je lus pour la première fois le roman que j’allais le plus relire – plus de cent fois –, Les Jeunes Filles de Montherlant. Cette lecture jubilatoire me confirma dans l’idée qu’il fallait tout devenir, sauf une femme. J’étais sur la bonne voie, puisque j’étais un cancrelat10.

Cela se passait au Laos vers 1983. On sait que la jeune lectrice a finalement choisi de devenir femme plutôt que de rester cancrelat. Femme, mais aussi écrivain. C’est donc à la romancière Amélie Nothomb qu’en novembre 1995, tandis que se donnait à Bruxelles l’opéra tiré de son premier roman, Hygiène de l’assassin, une journaliste dont le journal avait parlé du chou sous toutes ses coutures et à travers tous les âges, demanda où allaient ses préférences, si c’était au chou-fleur, au chou à la crème ou au chou de Bruxelles. La réponse fusa : “ De Bruxelles. Cela me rappelle une phrase de Montherlant : “J’entrai dans cette maison. Il flottait une odeur de chou de Bruxelles. Il y avait encore une raison de vivre…”11 ” Boutade, si l’on veut, mais boutade qu’il faut prendre au sérieux. C’est en effet dans Le Démon du bien que Pierre Costals, fort occupé, devant une “ tasse de thé prénuptiale ”, à détailler pour Mme Dandillot les drastiques conditions d’une éventuelle union avec sa fille, la voit soudain qui sonne, l’air consterné, pour appeler un domestique :

“ Est-ce qu’elle va me faire reconduire  ? ” se demanda-t-il. Mais non, c’était pour dire de fermer la porte de la cuisine. En effet, de la cuisine arrivait une appétissante, trop appétissante odeur de choux de Bruxelles. Ah  ! toute espérance en la vie n’était pas morte  !

La romancière de vingt-huit ans avait piqué droit sur l’un des épisodes les plus savoureux de la série des Jeunes Filles  : savoureux au sens propre, au sens culinaire (et le souvenir de l’anorexie y fut sans doute pour quelque chose), mais savoureux aussi au sens figuré, la scène se terminant, comme le dit Costals lui-même, par un “ gag ” digne de Charlot. Car il était “ si faraud de s’en aller que, avant que Mme Dandillot eût pu l’en empêcher, il s’était dirigé vaillamment vers la porte de la cuisine, la prenant pour la porte de sortie, et l’avait ouverte ”, de sorte que l’odeur des choux de Bruxelles s’était jetée sur lui “ avec la joie d’un chien enfermé que son maître libère, mais beaucoup plus dense, beaucoup plus vigoureuse, beaucoup plus “de choc” encore ” que la première fois12.

A-t-on jamais noté, au fait, cette curieuse coïncidence, que le dernier roman de Montherlant, Un assassin est mon maître, et le premier roman de sa fidèle lectrice, Hygiène de l’assassin, ont un mot en commun dans leurs titres, et pas n’importe lequel  ?

*

On reste en Belgique, et pour une large part à Bruxelles, avec un roman de Patrick Virelles, Un puma feule au fond de ma mémoire, qui a paru lui aussi en 2004 et dont le héros, Frédéric Tenbosch, se raconte à la première personne13. Ce n’est donc pas une autobiographie, même si ledit Frédéric est né, comme son créateur, en 1939 et que tous deux semblent avoir fréquenté, dans leurs enfances respectives, les mêmes lieux et les mêmes gens. Tiraillé entre une adorable grand-mère qui avait le culte du subjonctif plus-que-parfait et une mère à la main leste qui lui donnait “ la becquée en anglais, tendance Cambridge14 ”, ayant, à cinq ans, “ de l’alexandrin plein la bouche15 ” parce que la grand-mère ne jurait que par Hugo et la mère par Musset (de sorte que Tintin, chez lui, ne vint qu’après ces deux géants16), l’enfant n’a connu son père que tardivement, quand l’homme est revenu de l’oflag où il avait passé les cinq années de guerre.

Un père qui allait s’enfermer dans une tour d’ivoire et dans la contemplation du grand amour de sa vie : les livres. Pour ses livres, ce bibliophile, du reste très attentif à la dépense, est prêt à toutes les folies. Il est vrai qu’il y a parfois du bon dans la folie même. À preuve, ce qu’il advint à Frédéric le jour, entre tous mémorable, où son père l’admit dans le sanctuaire :

J’ai quatorze ans, âge où le bas-ventre bat la chamade plus souvent qu’on ne la sonne, et juin s’était mis en chaleur d’apparat lorsque mon père me convie à pénétrer pour la première fois dans son saint des saints pour admirer sa dernière acquisition, un exemplaire de tête de la Pasiphaé de Montherlant illustré par Trémois, le texte le plus accompli de Montherlant servi par le meilleur du crayon de Trémois17.

Le père ne dévoile à son fils que “ quelques pages choisies de ce chef-d’œuvre ”, mais qui ont suffi à l’adolescent pour qu’il prenne “ en pleine gorge deux phrases de Montherlant qui illustrent la levée du printemps crétois ”, celle sur la chienne en chaleur : “ La chienne mordille les habits de son maître et fait, en l’honneur de la jeune saison, une libation de gouttelettes de sang ”, et cette autre phrase, qui décrit le taurillon : “ Et, tout joyeux de sa jeune force, il s’amuse à tirer sous son ventre, à traits rapides, comme tire sa langue la vipère, un membre rouge et lustré comme le piment ”18. Les mots de l’écrivain, magnifiés – il faut le souligner – par les images du graveur, ont enivré l’adolescent, qui est sorti de la bibliothèque paternelle “ plus lourd qu’un bourdon frotté de pollen ”.

Frédéric aura ses désespoirs, parmi lesquels, vers ses quinze ans, une “ dérisoire ” tentative de suicide, qu’il tient lui-même pour “ une parodie des grandes morts antiques ” (un poignet tailladé avec une Gillette et aussitôt plongé dans un lavabo rempli d’une eau très chaude, car lui aussi, comme le jeune Henry de Montherlant et la jeune Amélie Nothomb, il avait lu Quo vadis  ?)19, mais pour retrouver une formule qui lui “ vrille les viscères ” à l’égal de la “ libation ” de Pasiphaé, il faudra qu’il attende d’être à Paris, en 1964, quand il découvrira son premier Georges Bataille :

Hier Montherlant m’avait donné mon transept, aujourd’hui Bataille m’offrait ma nef.
C’est à l’intersection insolite de ces deux œuvres que je dresserai demain l’autel où je célébrerai un jour la messe d’une Pasiphaé liliale écartelée sur une croix de basalte fuligineux, le sexe ouvert au vent20.

Montherlant aurait aimé que Pasiphaé, qu’il plaçait très haut dans sa production dramatique, soit comparé à un transept. Lui-même avait tenu, dans l’interview qu’il accorda le 10 mai 1971 à Jean José Marchand, à rappeler le vif éloge qu’André Gide en avait fait auprès d’Édouard Mac Avoy, le portraitiste des célébrités et l’illustrateur des Garçons  : “ Quand Montherlant, ce bougre-là, n’aurait écrit que ces trente pages, cela suffirait pour que son nom passât dans la littérature française pour toujours21. ” Et on a, pour renforcer Frédéric Tenbosch ou Patrick Virelles dans leur conviction qu’il s’agit du “ texte le plus accompli de Montherlant servi par le meilleur du crayon de Trémois ”, le jugement que l’auteur de Pasiphaé a lui-même porté sur l’ensemble de l’œuvre de Trémois en février 1971, c’est-à-dire peu avant l’interview de Jean José Marchand :

Le monde animal attire Trémois, et le monde humain. Mais plus que tout, les planches où s’accouplent les deux règnes touchent l’auteur de Pasiphaé. On les dit “ troubles ” alors qu’elles sont limpides, et “ inquiétantes ” alors qu’il y a une paix sublime dans les deux règnes réconciliés par un bonheur commun.
J’ai essayé maintes fois de convaincre Colette et Gide d’aborder ce profond et sublime sujet, soutenus par leur autorité d’écrivains : je leur fournirais une documentation invraisemblable. Tentés, sentant bien que cela était important et entièrement nouveau, ils prenaient peur et se dérobaient22.

L’écrivain estimait d’ailleurs, dans ce même texte, que Pierre-Yves Trémois était encore trop timide et qu’un artiste de sa taille “ s’honorerait en traitant plus loin qu’il ne l’a fait cette fusion des espèces, juste un instant, avant qu’elle ne fût rejetée avec haine dans la fosse dantesque où grouillent les préjugés ”. De quoi alimenter les rumeurs selon lesquelles, vers la fin de sa vie,  Jeanne Sandelion – dont on sait qu’elle servit de modèle pour l’Andrée Hacquebaut des Jeunes Filles – “ s’étendait volontiers sur les rapports que Montherlant aurait eus avec les animaux ” et qu’elle assurait qu’il “ songeait à faire publier post mortem quelques traits torrides où des bêtes adoptaient un comportement insolite ”. Paule d’Arx, qui a jugé bon de rapporter ces on-dit, entend réserver “ la part des jeux de l’esprit dans ces fantasmagories ” et doute que l’auteur des Bestiaires ait laissé de pareils textes parmi ses inédits23. Peu importe, en vérité. Ce qu’on retient ici de la “ confusion24 ” des règnes telle que la célébrait Montherlant, c’est la fascination qu’elle exerce, avec le concours de la gravure, sur le jeune héros d’un roman publié en 2004 par un écrivain qui a vu le jour en 1939.

*

On passe à l’année 2005 25 avec un roman de Philippe Le Guillou daté de 2002-2003 et intitulé Après l’équinoxe. Un titre qui s’éclaire ou commence de s’éclairer quand on apprend que le héros, Marc Verney, est un étudiant qui, “ subitement las de sa vie à Rennes ”, a migré à Paris en septembre 1972 avec la ferme intention de rencontrer Montherlant, à qui son mémoire est consacré. L’écrivain lui avait du reste écrit, le 12 juin, une aimable lettre, qu’on suppose apocryphe mais qui s’accorde avec ce qu’on sait de Montherlant, qu’il accueillait volontiers ceux qui s’intéressaient à son œuvre pour en écrire sine ira et studio, sans colère ni partialité, comme disait Tacite26 :

J’ai pris connaissance, avec un vif intérêt, de l’article que vous avez consacré à Port-Royal. […] J’ai également pris bonne note de votre intention de travailler sur certains de mes livres dans le cadre de votre diplôme. Lorsque vous serez installé à Paris, et si mes problèmes de santé ne s’aggravent pas, je serai très heureux de vous recevoir au début de l’automne27.

Le jeune Breton s’est donc installé, vers la fin de l’été, dans “ un perchoir de la rue du Sentier ”, quand la nouvelle éclate comme un coup de tonnerre : “ Montherlant s’était effondré le 21 septembre dans son salon, qu’inondait la belle lumière de l’après-midi. ” Une forte page s’offre ici au lecteur, qui tranche singulièrement avec les sarcasmes dont fut accablé, vif ou mort, l’homme du quai Voltaire28 :

La cécité venant, il avait préféré se suicider. Marc avait appris cette mort quelques jours plus tard, par hasard. Il s’était précipité sous les fenêtres de l’appartement du quai Voltaire. Le corps de l’écrivain n’était déjà plus là. Il avait été incinéré. Marc avait aperçu un porche imposant, une cour, des cartons que l’on déménageait et qui n’étaient peut-être pas ceux de l’écrivain. Il avait rêvé de voir Montherlant assis dans son fauteuil curule près des baies qui ouvraient sur la Seine. Il avait rêvé et il ne s’était pas pressé, ne prenant pas au sérieux l’évocation des problèmes de santé dans la lettre de juin. Il ne verrait jamais le salon des bords de Seine avec ses antiques, les hautes fenêtres qui donnaient sur le Louvre, les craquelures des lambris. Il n’attendait de cette rencontre aucune révélation. C’était une visite qu’il aurait faite à un écrivain qu’il admirait. Marc était arrivé à Paris au moment où le crépuscule tombait sur les masques et les antiques des bords de Seine29.

Marc Verney, pour dire le vrai, n’était guère avancé dans son travail. D’où son embarras quand il est convoqué par le professeur qu’il a choisi pour diriger ses travaux, un certain Chambaz qui “ appartenait à la tradition des grands universitaires de la Sorbonne ”, mais dont il n’était pas certain qu’il “ connût très bien les écrits de Montherlant ”. Chambaz brode un peu autour de la mort de l’écrivain (“ Je crois avoir lu quelque part qu’il avait ouvert les fenêtres avant de se donner la mort, pour mieux profiter de la lumière sur la Seine ”) et parle beaucoup de lui-même, avant de réclamer à Verney la première ébauche de son mémoire, rien d’autre, en fait, que “ quelques notes, des passages des Carnets, des formules de Costals ”.

Sortant de chez Chambaz, Verney traîne dans le quartier, passe la soirée avec un garçon qu’il a rencontré à la Sorbonne (il s’appelle Laurent Brunet, Brunet étant d’ailleurs le surnom du fils de Costals dans Les Jeunes Filles30) et se retrouve sur les bords de Seine à remâcher son trouble. Nouvelle page, ici, à la gloire de Montherlant, dont l’œuvre s’égrène dans une émouvante litanie :

Une après-midi d’équinoxe, alors que toutes choses atteignaient leur point d’équilibre, soudain le cours du fleuve s’était ralenti, les façades lointaines du Louvre avaient viré à l’ocre – l’ocre cuit des cloîtres d’Espagne –, l’air s’était chargé d’effluves d’orangers et d’encens, de sable aussi, mouillé par le sang de la bête sacrifiée. Tout s’était concentré comme dans une boule de foudre, les fontaines du désir, la poussière des arènes, la senteur des buis chauffés, les pistes du désert et les concrétions lunaires des roses des sables, la bure des ermites et la soie rouge des chapeaux à glands, la torpeur des maisons de célibataires, l’inquiétude des pensionnats, les corps de garçons31.

Verney, qui revit “ jusqu’à l’hallucination ” les préparatifs du suicide et son exécution, est bien forcé de constater que “ l’affaire était classée ”, qu’ “ on avait emporté, puis brûlé le corps de l’écrivain ”, et que “ la poussière commençait à se déposer sur les antiques et la chaise curule ”, mais son désarroi vient aussi de l’abîme qu’il voit se creuser – au sens propre comme au sens figuré, car on rase à ce moment-là le quartier des anciennes Halles – entre sa personne et son temps : “ Il était ce que l’époque abhorrait : un improductif32. ”

C’est alors que le Bar d’Orgueil – un bistrot de la rue des Petits-Carreaux que le lecteur a du reste découvert dès les premières pages du roman, Verney s’y étant réfugié pour chasser ses “ idées noires ” – va commencer de jouer un rôle essentiel dans la vie de ce Breton en exil. La Sorbonne n’est pour lui qu’ “ un mouroir de salles obscures ”, tandis que le bar, où il rencontre des gens de toute sorte avec leurs mystères bien à eux, devient petit à petit son port d’attache, le lieu à partir duquel il se lance dans la découverte de ce que l’auteur lui-même appelle, d’un mot très montherlantien, “ la vraie vie33 ”.

Les livres ne vont pas le lâcher pour autant. C’est que Verney a, du côté de la forêt de Fontainebleau, un oncle collectionneur et bibliophile, mal noté dans la famille (on ne s’est servi de lui que pour ses liens avec Chambaz), mais que le jeune homme apprécie et qui l’introduit auprès d’un “ libraire ancien ” du passage Verdeau. Un libraire qui confiera bientôt à notre Marc de menus travaux de classement, mais qui incarne à lui seul toute la faction hostile à Montherlant ; il en parle comme ceux qui, ne l’ayant jamais rencontré, s’empressent d’en dire le plus grand mal et se taisent sur son œuvre :

– Je l’ai entraperçu… Il m’est arrivé, très rarement, de déjeuner dans ce restaurant à l’angle de la rue de Beaune et du quai Voltaire où il avait ses habitudes. En revanche, j’ai vendu plusieurs de ses grands papiers. Il organisait une sorte de marché autour de ses livres dédicacés. Je sais que vous l’aimez… Pour moi, il ne se remettra pas du surnom terrible que lui avait donné Céline, “ Buste à pattes ”… C’est vraiment ça, Montherlant, quelqu’un qui prend la pose, un marbre sur des pattes un peu courtes34.

Verney aura l’objection devenue classique : “ Sa mort… ”, et l’autre, la réponse tout aussi classique : “ Sa mort est impeccable… Pour une fois… ”, suivie de l’inévitable : “ … et encore on ne sait pas tout ”. Mais ce ne sont pas de tels commentaires qui entament la foi du jeune homme. Il trouve d’ailleurs au Bar d’Orgueil, comme une sorte d’antidote au vieux libraire, un habitué du lieu, toujours plongé dans de graves lectures, qui finit par l’interroger sur ce qui est ou devait être le sujet de son mémoire. Verney lui répond : “ l’écriture de soi dans l’œuvre de Montherlant ” ; l’homme commente, en affichant ses préférences :

– C’est un beau sujet, et un bel auteur. Sa mort nous a tous glacés. Port-Royal, La Ville dont le prince est un enfant sont des textes qui m’ont beaucoup touché… C’est réconfortant de voir des jeunes gens s’intéresser à autre chose que Camus et Sartre…35

Il appartiendra à l’auteur de lever, au fil des pages, le voile qui recouvre cet homme et les autres clients du Bar d’Orgueil. Comme il lui appartiendra de conduire son héros vers sa propre destinée.

Marc Verney, qui admirait de Gaulle et Malraux et Montherlant, avait le sentiment que “ la splendeur et le sens étaient en amont ”, qu’il était arrivé quand “ les lumières s’étaient déjà éteintes à l’Élysée, sur les marches du Panthéon, quai Voltaire ”36. Les “ allures d’esthète gidien ” de Chambaz, l’oncle Félicien, bon vivant au passé plus que trouble, ses nouvelles amitiés, une liaison avec le séduisant Aurélien, tout le détournait de son mémoire tel qu’il l’avait d’abord conçu, et si d’aventure il “ feuilletait quelques pages d’Aux Fontaines du désir qui l’avaient jadis ému, l’intérêt retombait vite ”, et il commençait de se dire que “ la littérature, qu’il croyait avoir aimée, ne le sauverait pas ”, qu’elle ne lui offrait qu’une “ vie par procuration ”37. Il n’avait rien oublié des livres qu’il avait appris par cœur dans sa chambre de Rennes (Chateaubriand et Claudel, Proust et Rimbaud, Montherlant et Gide), il “ frémissait encore ” si, ouvrant un carton à la librairie du passage Verdeau, il y apercevait un texte de Montherlant et il sera bien aise de se voir offrir “ la série des Jeunes filles dans l’édition reliée par Paul Bonet ”38, mais il n’avait plus besoin pour vivre des écrits des autres et il connaissait mieux désormais les gens qu’il fréquentait au Bar d’Orgueil ou ailleurs que “ les personnages de Montherlant39 ”.

De son mémoire, il ne restera que l’introduction où il évoquait “ une promenade sous les fenêtres de l’appartement du quai Voltaire ”. Chambaz lui ayant représenté qu’elle donnait “ à son propos un tour un peu personnel ”, il était prêt à la supprimer ; il aura la surprise de la voir acceptée par Gallimard, où Chambaz l’a secrètement adressée40. Mais pour que Verney, finalement, décide de rester à Paris avec “ les derniers servants de l’ombre ”, il faudra un nouveau sacrifice.

La dernière fois que son neveu lui avait rendu visite, en février, l’oncle Félicien s’était inquiété de savoir où Montherlant était enterré. Apprenant qu’il avait été incinéré et que ses cendres seraient sans doute dispersées à Rome par son exécuteur testamentaire, Félicien avait commenté : “ En Espagne ou dans le désert, parmi les roses de sable, ça n’aurait pas été mal non plus… Quand je suis arrivé à Paris, il y a bien longtemps, j’étais obsédé par les tombes des grands hommes… ” Le neveu s’en était ému : “ Un autre avant lui avait marché dans la ville à la recherche des cendres illustres41. ” Or voici qu’il apprend que la villa de Fontainebleau est partie en fumée, qu’elle n’est plus que cendres, que l’oncle a disparu :

Il avait l’impression de revivre le sacrifice de l’équinoxe. L’oncle Félicien avait sans nul doute choisi cette fin conforme en tout point à ce qu’il avait été. Il avait vécu, il avait agi, il avait été trafiquant, vendeur, espion, esthète, collectionneur fou, membre de société secrète. Et il avait choisi de disparaître dès qu’il avait senti que son destin le rattrapait42.

Félicien avait téléphoné, quelques jours avant, au bistrot de la rue des Petits-Carreaux, pour s’enquérir de son neveu, lequel neveu, plutôt que de courir à Fontainebleau, avait choisi de se rendre à Rouen, en compagnie d’Aurélien, sur les traces du mystérieux lecteur du Bar d’Orgueil. Il ne lui restera plus qu’à prélever dans les ruines de la villa une poignée de cendres, pour l’aller jeter en un lieu bien précis de la forêt que Félicien lui avait désigné ce jour de février où il l’avait interrogé sur la dépouille de Montherlant, un lieu qui s’appelle le Pas du Houx et dont le nom est aussi celui d’un lieu-dit de la forêt de Brocéliande : “ Les grands cerfs sacrés, avait murmuré l’oncle, viennent là se désaltérer. J’aimerais bien qu’ils m’emportent…43 ” On est à l’équinoxe de mars, le titre du roman s’éclaire in fine d’une autre lumière : les cendres de l’oncle Félicien rejoignent celles de l’auteur de Brocéliande, qui furent en effet dispersées sur les lieux sacrés de la Rome ancienne, le 21 mars de la même année 73, par Jean-Claude Barat, l’héritier de Montherlant, et par Gabriel Matzneff44. Marc Verney a cessé de “ vivre par procuration ”, il a connu lui aussi son équinoxe.

*

Le Paradis d’en face, de Paul M. Marchand, est un roman qui a vu le jour en 2007. Son héros, comme le Frédéric Tenbosch de Patrick Virelles, se raconte à la première personne et comme le Marc Verney de Philippe Le Guillou, c’est un jeune homme qui, venant de l’extérieur, Genève en l’occurrence, est à Paris pour étudier : il fait un stage dans un “ centre de formation de la fonction publique ”, car il est entendu que Thomas, puisque tel est son nom, sera fonctionnaire, à l’image de son père et de sa mère.

En revanche, les raisons qui l’ont amené à relever, parmi les petites annonces, celle qui signalait un appartement au n° 8 de la rue Girardon sont moins banales. L’une de ces raisons (un premier clin d’œil du destin), c’est que Céline avait habité au n° 4, Céline qu’il avait découvert à quinze ans alors qu’il attendait sur un lit d’hôpital qu’un cadavre en bonne santé lui cédât le rein qui lui manquait – et au passage on se dit que quatorze ou quinze ans est un bel âge pour les découvertes : Tenbosch a quatorze ans quand son père lui dévoile Pasiphaé, Amélie Nothomb en a quinze quand elle découvre Les Jeunes Filles. Cela dit, notre Thomas était loin de se douter que le destin, en le conduisant dans cette rue de Montmartre, lui avait réservé une autre surprise.

Pour se déplacer plus vite et plus facilement, Thomas, en effet, achète une moto, et c’est en la garant pour la première fois devant le n° 8 qu’il s’entend héler par une vieille dame qui, depuis sa fenêtre du cinquième étage de la maison voisine, lui crie : “ Nicolas, c’est toi  ? ” La question reviendra, telle une litanie, toutes les fois qu’il rangera sa moto devant chez lui. Après quatre semaines de “ Nicolas, c’est toi  ? ”, Thomas commence son enquête, dont il avoue très vite qu’elle sera fatale à la vieille dame : “ Ce fut cruel, elle en est morte, mais je n’ai pas à le regretter45 ”, et c’est ici que, brisant net le fil de son récit, le narrateur se retranche soudain derrière Montherlant :

Trop de bonnes lectures peut entraîner la mort… Vous lisez un livre, et là, entre les mots, tapi derrière une phrase, se dresse le fossoyeur. Je crois que je l’ai aidée à en finir mais le véritable artisan, et seul comptable de son suicide, se nomme Henry de Montherlant. Il y a parfois d’admirables auteurs qui nuisent aux santés précaires, on aimerait fort s’en préserver, on ne sait pas y résister… Un passage anodin peut retourner un destin, sceller un avenir et précipiter votre fin… C’est ainsi que Montherlant l’a tuée. Elle me l’a écrit avant de se passer la corde autour du cou. Elle se sentait alors légère, délestée, en deux mots : plus aérienne46

On sait donc que la vieille dame va se suicider, qu’elle va se suicider parce que Thomas aura, comme il le dit lui-même, “ forcé la main ” aux occasions, et que c’est Montherlant, ou du moins l’un de ses écrits, qui l’aura convaincue de sauter le pas. L’incertitude n’est pas dans le dénouement, elle est dans les circonstances qui vont le provoquer.

Thomas apprend par la concierge du n° 10 que Marguerite fut mère et que son fils unique a été victime dix ans plus tôt d’un accident de moto : “ Il perdit la vie, elle perdit la tête47. ” Le garçon rend visite à la vieille dame, tout heureuse d’accueillir son Nicolas, et les choses vont leur cours, chacun s’attachant à l’autre. Thomas joue à être Nicolas, Marguerite lui confesse ses fautes ou ce qu’elle tient pour des fautes, comme si elle se confessait à son fils. Lentement, le voile qui obscurcissait son regard se déchire. Un jour vient où elle raconte à Thomas “ la mort venue frapper à sa porte ”, lui rapporte le récit des policiers : “ la mort cérébrale constatée, le fils de vingt et un ans à qui on prélève le cœur, les reins, les poumons, le pancréas, les cornées, plusieurs kilos de tripes encore fraîches, avant de rendre son corps…48 ” Le lecteur commence à comprendre pourquoi Thomas est Nicolas aux yeux de Marguerite et pourquoi le narrateur, au début de son histoire, a proclamé que son destin “ fut deux fois chamboulé par la rue Girardon49 ”, à quinze ans par un écrivain qu’il lisait dans son lit d’hôpital et à vingt-cinq ans par une vieille “ toquée ” qui le prend pour son fils, pourquoi en bref son destin l’avait conduit au n° 8, entre le n° 4 et le n° 10.

De Montherlant, pendant tout ce temps-là, il n’a plus été question, sinon à mi-chemin du récit, et pour anticiper une fois encore sur la fin, quand Thomas rêvasse dans une librairie de Guéret, où il doit s’exercer à la vie de fonctionnaire, “ sans se douter qu’un jour, dans d’autres librairies, il ferait la chasse à tout ce que Montherlant écrivit, jusqu’à sa moindre virgule, sa moindre rature…50 ”

Le jeune homme et la vieille dame finiront par admettre ce que le lecteur a deviné : lui qu’il ne serait plus en vie si, dix ans plus tôt, un garçon dont le prénom sonne un peu comme le sien n’était mort en bonne santé, elle que son fils est mort, même s’il “ continue à vivre, quelque part, chez quelqu’un51 ”, ce “ quelqu’un ” à qui elle a pu enfin expliquer ce qu’elle avait toujours caché à Nicolas, pourquoi il avait perdu son père dans sa petite enfance, que lorsque le père est mort, elle était brouillée avec lui et que cette mort était un suicide déguisé en accident : “ Nous ne nous sommes jamais vraiment parlé avec Nicolas… Les mots qu’il attendait, je ne m’en approchais pas…52 ”

Thomas regagne son Helvétie natale avec la “ grande et jolie Boba ”, une Serbo-Croate qu’il a connue en vacances du côté de Split et Dubrovnik et qui porte leur enfant dans son ventre. Marguerite, cependant, lui manque et c’est en retournant un jour à Paris pour lui rendre une visite impromptue qu’il apprend qu’elle s’est pendue :

J’ai fait deux choses : pleurer jusqu’à m’essorer et lire Montherlant. L’ensemble de son œuvre, les romans, les pièces de théâtre, ses carnets et sa correspondance, même la liste des commissions retrouvée après son suicide… J’ai éreinté les bouquinistes, écumé les éditeurs et pressuré les bibliophiles. J’ai lu les thèses qui lui étaient consacrées, certaines étaient indigestes, d’autres farfelues, quelques-unes fulgurantes. Pour essaimer son talent, des bataillons d’étudiants avaient cru bon s’improviser neurologues légistes, les dissections étaient grossières, bâclées. Le cadavre avait été trituré, les chairs mal raccommodées. Homme hors du commun il fut dénaturé en patchwork approximatif… Détrousseurs d’astres  ! Envieux  ! Futurs professeurs de lettres ballonnés de morgue  !53

Car la vieille dame avait laissé une lettre pour Thomas. Elle y parlait d’un ouvrage de Montherlant où l’écrivain disait en substance “ que les corps morts étaient lourds des choses qu’ils n’avaient pas su exprimer de leur vivant, que toutes ces dépouilles étaient lestées de secrets ” et que c’était pour cette raison qu’ “ il fallait plusieurs hommes pour soulever le cercueil et le glisser en terre ”.

L’enquête de Thomas se termine devant la tombe où Marguerite repose enfin à côté de son fils. “ Ces deux-là se devaient des mots… ”, commente le narrateur, dont le récit s’achève avec ce court extrait de Montherlant  : “ Ce sont les mots qu’ils n’ont pas dits qui rendent si lourds les morts dans leurs cercueils54 ”, un souvenir, s’il faut être précis, de l’essai que l’auteur de La Relève du matin avait dédié à un camarade de collège tué sur le front en 1915 et qu’il avait intitulé En mémoire d’un mort de dix-neuf ans. L’auteur du Paradis d’en face ne pouvait choisir de meilleure formule pour parler d’une mère amputée de son fils et dans le même temps si lourde des mots qu’elle lui avait celés55. Quant à soutenir qu’il s’est aussi souvenu de Montherlant – Le Paradis à l’ombre des épées, Il y a encore des paradis – pour le titre même de son roman…

*

Le Robert des grands écrivains de langue française, dont la première édition remonte à 2000, a jugé bon – chose réconfortante – de retenir Montherlant parmi les 150 auteurs qui, selon la devise même des Dictionnaires Le Robert, illustrent le mieux “ toute la richesse de la langue ”, mais – chose moins plaisante à lire – la notice qui lui est consacrée souligne in fine que “ son œuvre a connu, à la fin du XXe siècle, le purgatoire ”, que “ rares sont les écrivains qui se réclament de son exemple ”, que “ son théâtre n’est plus guère joué ” et qu’ “ on ne lit plus beaucoup ses romans ”.

Oserais-je dire que ce qui était vrai en 2000 ne l’est plus nécessairement en 2007  ? Il est en tout cas de bon augure que le Théâtre du Nord-Ouest, que dirige Jean-Luc Jeener, ait donné au Faubourg Montmartre56, entre juillet et décembre 2006, toutes les pièces de Montherlant et que Michel de Warzée, qui dirige à Bruxelles la Comédie Claude Volter, y ait mis en scène au printemps 2007 La Ville dont le prince est un enfant. Il n’est pas non plus indifférent qu’un Dictionnaire Montherlant – même si sa parution fut retardée pour des raisons que nous laisserons ici de côté – doive bientôt voir le jour, ni que Les Jeunes Filles figure comme une des œuvres marquantes du XXe siècle dans cette sorte d’encyclopédie que Flammarion a publiée en 2006 sous le titre Les 1001 livres qu’il faut avoir lus dans sa vie, ni que le “ numéro anniversaire ” que le Magazine littéraire a sorti en décembre 2006 (il s’intitule “ 40 ans de littérature ”) ait retenu Les Garçons parmi les productions majeures de l’année 196957. C’est dans ce mouvement que s’inscrivent Biographie de la faim, Un puma feule au fond de ma mémoire, Après l’équinoxe et Le Paradis d’en face  : une Amélie Nothomb, un Patrick Virelles, un Philippe Le Guillou, un Paul Marchand ont à leur manière proclamé ce que d’aucuns avaient oublié et que d’autres ont tenté de nier, que Montherlant fut un maître de l’écriture58, et qu’il faut donc le lire sine ira et studio, sans colère ni partialité.

Pierre Duroisin



1 Op. cit., p. 54, La Table Ronde (quand il n’est pas précisé, le lieu d’édition est Paris). Pour ceux qui, inversement, chercheront la trace de Matzneff chez Montherlant, il faut à tout le moins citer une page des carnets de 1964 (dans Va jouer avec cette poussière, p. 134, Gallimard, 1966) où l’aîné renvoie à une étude du cadet qui avait paru en 1959 dans un numéro spécial de La Table Ronde intitulé Montherlant vu par des jeunes de dix-sept à vingt-sept ans, ainsi que l’essai du Treizième César intitulé La Mort de Caton, plus précisément les pages datées de février 1969 où Montherlant se réfère longuement à l’étude Le Suicide chez les Romains que Matzneff lui avait soumise dès 1959 et qu’il a insérée dans Le Défi, un essai publié en 1965, ce qui veut donc dire que L’Archimandrite se situe entre Le Défi et La Mort de Caton. J’ajoute enfin qu’il y a infiniment plus d’émotion dans le discret salut de Cyrille Razvratcheff, le héros de L’Archimandrite, qu’il n’y a d’esprit dans la caricature que Roger Peyrefitte fera, quatre ans plus tard, de Montherlant dans son roman Des Français.
2 Voir le témoignage de G. Matzneff dans son journal de l’année 1972 à la date du 21 septembre. Montherlant lui téléphone et lui parle de son roman : “ C’est le dernier livre que j’aie lu. Vous me l’auriez envoyé trois jours plus tard, je ne pouvais plus le lire à cause de ce voile sur l’œil […] ” (Élie et Phaéton, p. 235, La Table Ronde, 1991).
3 Carnets (années 1930 à 1944), Carnet XIX,  p. 989 dans le volume Essais de la Bibl. de la Pléiade.
4 Repris en 1970 dans Le Treizième César, cet essai fut d’abord publié dans le n° du 10 novembre 1960 des Nouvelles Littéraires. Le passage cité se trouve à la page 141.
5 Je ne suis pas sûr que le chapitre que G. Matzneff a consacré à Montherlant dans Maîtres et complices (publié en 1994 chez Lattès) ait eu droit aux égards qu’il méritait. Même remarque pour Montherlant ou La Relève du soir que Philippe de Saint Robert a publié en  1992 aux Belles Lettres dans la collection “ L’Idiot international ”. À l’opposé, Michel Mohrt eut plus de monde avec lui quand, après la publication en 1983 de la correspondance Montherlant-Peyrefitte, il redonna en 1989, à La Table Ronde, son ancien Montherlant “ homme libre ” avec une préface ou plutôt à cause d’une préface où il disait toute sa désillusion.
6 Ces lignes sont extraites d’une lettre du 5 mars 2007 adressée à Henri de Meeûs d’Argenteuil, qui a bien voulu que j’en fasse ici mon miel.
7 C’en est une, puisque l’auteur déclare sur la quatrième de couverture : “ La faim, c’est moi ”, mais avec un titre qui crée comme une distance entre l’écrivain et son récit. La différence est nette, cependant, entre cette œuvre et Stupeurs et tremblements, qui pourrait passer comme un fragment d’autobiographie, mais qui est présenté comme un roman.
8 “ Je lisais Tintin avec plaisir et la Bible avec un effroi très agréable ” (Op. cit., p. 63, Albin Michel, 2004).
9 “ Je dois à Homère les quelques neurones qui me restent ” (Op. cit., p. 220).
10 Op. cit., p. 224.
11 Dans le supplément hebdomadaire du Soir des 25 et 26 nov. 1995, p. 2.
12 Voir Le Démon du bien aux p. 1291 et 1292, passim dans le volume Romans I de la Bibl. de la Pléiade.
13 L’ouvrage a paru à Bruxelles, aux Éditions Labor.
14 Op. cit., p. 13.
15 Ibid., p. 137.
16 On trouvera aux pages 320 à 322 le récit des péripéties qui entourent l’abonnement au journal Tintin, dont Frédéric reçoit le premier numéro le 26 septembre 1946, alors qu’il est plongé dans la lecture des Misérables. Et comment ne pas noter au passage, alors qu’on célèbre en 2007 le centenaire de la naissance d’Hergé, cette omniprésence de Tintin : chez Amélie Nothomb, chez Virelles-Tenbosch et chez Gabriel Matzneff, le dernier maître qu’il honore, après Montherlant, dans Maîtres et complices étant tout justement Hergé  ?
17 Pour cette citation et tout l’épisode Pasiphaé, voir p. 96 à 99, passim. L’édition illustrée par Pierre-Yves Trémois porte l’achevé d’imprimer du 31 mars 1953, ce qui s’accorde parfaitement avec la chronologie du roman : juin 1953, Frédéric Tenbosch et Patrick Virelles ayant alors quatorze ans.
18 Ces deux extraits de Pasiphaé se trouvent aux pages 82 et 83 du volume Théâtre de la Bibl. de la Pléiade. On note que la seconde phrase est de celles dont l’auteur a précisé qu’elles pouvaient être “ supprimées à la représentation ”.
19 Pour cet épisode, voir les pages 345 à 347 du roman.
20 Pour la découverte de Bataille et cette citation, voir p. 133-135, passim.
21 Jean José Marchand, Archives du XXe siècle - Montherlant, p. 64, Éd. Jean-Michel Place, 1980.
22 Dans Le Livre d’Éros, Le Club du Livre, Paris, Philippe Lebaud, 1971.
23 Henry de Montherlant ou Les Chemins de l’exil, p. 187 à 190, passim. Librairie A.-G. Nizet, 1995.
24 De Pasiphaé, le Chœur dit notamment ceci : “ Supposé qu’elle commette une confusion, toute la nature est confusion ”, jeu de mots que l’auteur a jugé bon d’éclairer par une note en bas de page : “ “Celui qui couche avec une bête comme on couche avec une femme commet une confusion” (Lévitique) ” (Théâtre, p. 86).
25 Et on ne quitte pas tout à fait la Belgique. Il y aura dans le roman qui va maintenant nous occuper une place pour Bruges, Anvers et leurs peintres, et pour “les bières belges ”.
26 Un témoignage parmi d’autres, celui de Paule d’Arx dans Les Chemins de l’exil cité plus haut (voir p. 11 et sv.)
27 Op. cit., p. 21.
28 Paule d’Arx, par exemple, a conservé le souvenir d’une réception, en décembre 1962, où “ l’un de ces nains grotesques qui encombrent les antichambres du pouvoir avait platement dénigré le romancier des Olympiques avant de lui prédire une fin imminente et peu glorieuse ” (voir Les Chemins de l’exil, p. 11-12).
29 Après l’équinoxe, p. 22.
30 “ Philippe, qu’on appelait Brunet, à cause de sa peau brune… ” (Op. cit., p. 991 dans le vol. Romans I de la Bibl. de la Pléiade).
31 Après l’équinoxe, p. 33-34.
32 Ibid., p. 38.
33 Sur la quatrième de couverture.
34 Op. cit., p. 115-116.
35 Ibid., p. 131.
36 Ibid., p. 91-92, passim.
37 Ibid., p. 94-95, passim.
38 Ibid., p. 178 et p. 181. Il s’agit de la première édition collective des quatre romans qui constituent la suite intitulée Les Jeunes Filles. Le tirage fut de 3 050 exemplaires et l’achevé d’imprimer est du 10 mars 1943.
39 Ibid., p. 97.
40 Ibid., p. 121 à 125 et 206 à 208, passim.
41 Ibid., p. 165.
42 Ibid., p. 262.
43 Ibid., p. 268.
44 Lequel a laissé un émouvant récit de cette cérémonie dans la deuxième édition du Défi (Le tombeau de Montherlant, p. 182-205, La Table Ronde, 1977).
45 Op. cit., p. 32, Grasset, 2007.
46 Ibid., p. 32-33.
47 Ibid., p. 46.
48 Ibid., p. 143.
49 Ibid., p. 38.
50 Ibid., p. 123.
51 Ibid., p. 264.
52 Ibid., p. 193.
53 Ibid., p. 273.
54 Ibid., p. 275.
55 La phrase exacte et complète dans La Relève est : “ Il s’était beaucoup forcé pour se taire : ce sont les mots qu’ils n’ont pas dits qui font si lourds les morts dans leurs cercueils ” (Op. cit., p. 48 dans le vol. Essais de la Bibl. de la Pléiade), mais il est vrai que Montherlant lui-même la cite sous la forme qu’a retenue Paul M. Marchand dans ses carnets de 1971 : “ Dans La Relève j’avais écrit : “Ce sont les mots qu’ils n’ont pas dits qui rendent si lourds les morts dans leurs cercueils” ” (La Marée du soir, p. 115, Gallimard, 1972) ; il est donc vraisemblable que c’est là que l’auteur du Paradis d’en face est allé chercher sa citation.
56 C’est le quartier d’Exupère, le triste héros du dernier roman de Montherlant, Un assassin est mon maître.
57 Le n° de juillet-août 1999 de ce même magazine, dont le thème était “ Écrire la guerre ”, avait déjà permis à Philippe de Saint Robert de montrer quelles avaient été pour Montherlant “ les vertus de la guerre ”.
58 À ces quatre romanciers, je joindrais volontiers Denis Lalanne et Christopher Gérard, avec qui on ne sera plus – ici du moins – dans le roman, mais avec qui on restera dans la littérature du XXIe siècle et dans l’œuvre de Montherlant.
Pour Denis Lalanne, je pense à l’hommage qu’il a rendu au stade de Colombes dans un texte publié en 2004 sous le titre Dernier train pour Colombes. Il y rappelle que “ ce haut lieu de l’amateurisme eut ses jours de colère ” et en donne pour preuve “ un commentaire indigné, signé du jeune Henry de Montherlant, sur la finale France-États-Unis du tournoi de rugby des Jeux de 1924 ” : “ On a hué le drapeau d’une nation, notre alliée dans la guerre, et grâce à laquelle nous pûmes vaincre. On a hué une équipe qui avait fait douze mille kilomètres pour répondre à notre invitation et venait de nous battre loyalement, à plate couture. À coups de canne sur la tête, on a étendu à terre, ruisselant de sang et sans connaissance, un étudiant américain qui encourageait ses compatriotes. Ce qu’il y avait là de la France se conduisait en femme hystérique. Qu’était-ce que Verdun à cette heure  ? Les Américains venaient de mesurer notre bluff sportif, ils étaient en droit de penser que notre bluff militaire était à l’échelle. ” (op. cit., p. 105-106 dans les Cahiers de La Table Ronde du printemps 2004). Pour dire le vrai, ce n’est pas tout à fait ce qu’on lit chez Montherlant ; c’est plutôt un condensé de quelques passages d’un article qu’il avait d’abord publié dans L’Intransigeant du 20 mai 1924 sous le titre Grande corrida aux arènes de Colombes, qu’il reprit en 1929 dans Earinus et qu’il reprit à nouveau en 1971 dans Mais aimons-nous ceux que nous aimons  ? (voir Earinus. Troisième Olympique, p. 18 et sv., Émile Hazan & Cie, 1929, et Mais aimons-nous ceux que nous aimons  ?, p. 226 et sv., Gallimard, 1973). Les libertés que se permet Denis Lalanne avec le texte original étonneront tous ceux qui ont le culte de la citation, mais au moins retiendra-t-on de cet arrangement que les textes “ sportifs ” de Montherlant sont toujours pleins de sève et tristement actuels. L’auteur des Olympiques n’avait-il pas lui-même évoqué dans Earinus, à la page 12, “ les méfaits du chauvinisme sportif ” et rappelé dans Mais aimons-nous, page 225, “ le drame de Munich ”  ?
Christopher Gérard, avec qui on revient en Belgique, est autrement soucieux de la lettre d’un texte. Ce “ païen ”, romancier à ses heures, donne volontiers libre cours à son lyrisme, mais sans oublier pour autant qu’il est aussi philologue. Il est un peu “ le Dionysos à la loupe ” du Paradis à l’ombre des épées : “ Exaltation  ? Oui, mais sur de la minutie. Dionysos  ? Certes  ! Mais, comme Léon X dans le tableau de Raphaël, Dionysos avec une loupe à la main ” (voir p. 261 dans le vol. Romans I de la Bibl. de la Pléiade). À preuve, le séduisant essai sur Julien qu’il a publié en 2002 dans sa revue Antaios, et qu’il a repris avec quelques ajouts en 2007 dans La Source pérenne. Il y fait la part belle à Montherlant, et singulièrement à son Solstice de juin, où dominent le mythe solaire et la figure de Julien, mais au rebours d’un Denis Lalanne, qui arrange les textes, Christopher Gérard consulte les éditions originales pour en extraire une mœlle d’autant plus “ substantifique ” (voir les pages 143 à 146, et singulièrement la p. 144, de La Source pérenne dans Julianus redivivus : L’Empereur Julien au XXe siècle : permanence d’un mythe littéraire, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2007).