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Articles sur Montherlant (hors presse)

115. Un inédit de Montherlant sur les « gens du monde » en 1925.
        Texte établi et commenté par Pierre Duroisin.

Henry de Montherlant à l'âge de 25 ans.
Photo Henri Martinie (1881-1963).

(Netty de Mure de Larnage (1873-1956), morte célibataire, était la troisième fille
du Comte Jean Raymond de Mure de Larnage et de Marie Bouquet de Lignère)

Parmi les manuscrits de Montherlant que la Bibliothèque nationale de France conserve sous la cote NAF 28165, il en est de prestigieux, celui du Songe par exemple ou celui des Bestiaires, mais il en est aussi de beaucoup plus modestes qui restèrent à l’état de brouillons, tel ce manuscrit daté « 21-22 août 1925 » que Montherlant a lui-même intitulé Sur les gens du monde et qui ne compte pas plus de sept feuillets : six pages de texte et une page de notes[1].

Un manuscrit livre rarement tous ses secrets. Des chevrons encadreront les mots d’une lecture incertaine ; l’abréviation ill. signalera un mot, voire une série de mots, illisible ; des crochets droits cerneront les mots ou parties de mots qu’il aura semblé légitime de suppléer[2].

Il faut enfin souligner qu’on n’aurait pu déchiffrer ni éditer ce texte sans l’accord de M. Jean-Claude Barat, exécuteur testamentaire de Montherlant, et le soutien de M. Guillaume Fau, conservateur au département des Manuscrits de la BnF.

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Sur les gens du monde

Prisonniers de leurs préjugés. À quelqu’un à qui je disais qu’on devait se voir longtemps avec sa fiancée : « Ce n’est pas possible en France. » Elle me disait alors la procédure inamovible. Elle reconnaissait ce que j’opposais, mais persistait : « Cela se fait ainsi. » Les intellectuelles mises à part, c’est une des femmes du monde les plus intelligentes que je connaisse. Mais quand leur intelligence se trouve en contradiction avec un « usage », c’est toujours l’intelligence qui est vaincue.

M. de M., attachée (bénévole) à une maison d’édition (juive) pour choisir les romans pour jeunes filles, me dit qu’elle a entendu dire que Gide faisait faire ses articles par des veuves de guerre. Je comprends parfaitement qu’on ignore Gide quand on n’est qu’une femme du monde. Mais quand on fait de la critique littéraire ! M. de M. est une femme de caractère et qui, elle aussi, est intelligente, mais elle manque évidemment d’informations.

Les gens du monde, si pointilleux sur la politesse des gens qui n’en sont pas, appellent insolence leur impolitesse à eux, et la trouvent alors un signe de race.

Entre Henry de Riancey et Veuillot : une des grandes causes de sa faiblesse, c’est d’être gentilhomme. Il était paralysé[3].

La femme de Jean de la Fontaine était Madeleine Héricart. Or la famille Héricart est une des alliances de la mienne[4]. Je disais un jour à un de mes parents : « En outrant un peu, je pourrais dire que je suis un descendant de Lafontaine [sic]. » Il fit la moue : « Ce ne serait pas à dire. Tu sais que les Lafontaine étaient d’une toute petite noblesse. »

Un éditeur catholique démocrate m’a dit : « Jamais je ne voudrais d’un noble parmi mes employés. » Ma foi, moi non plus.

J’ai vu dans un journal la composition d’un comité d’études en faveur de la paix. Dans le bureau, sur dix membres, il y en a huit qui ont la particule. Inutile d’aller plus loin. L’entreprise est mort-née.

Exilée du pouvoir, il semble qu’on ne se tourne vers la noblesse que pour lui demander son nom, quand il y a une fête de charité, son sang, quand il y a une guerre[5]. Si on pouvait faire le compte de ce que chaque classe de la société a apporté à la guerre et y a laissé, je crois que ce serait, avec les paysans, la noblesse de province, ce qu’on appelle la petite noblesse, qui l’emporterait dans le sacrifice. Mais l’imaginer au pouvoir ! Il suffit de se représenter ce que ce serait pour que toutes les théories sur la vérité de la monarchie, sans être jugées pour le fond, apparaissent pratiquement insoutenables.

Je sais tout ce qu’on peut dire en faveur du mécénat d’un Louis XIV. Mais non, cela m’est impossible, je ne peux pas avaler ces préfaces de Racine et de Corneille. Quelqu’un admirait que j’aie […][6] pour ce siècle, l’air de Versailles m’est irrespirable. La plus grande curiosité rétrospective que j’aie pour ma famille est pour cet Antoine de Montherlant, officier de l’échansonnerie à la cour de Louis XIV[7]. Un Montherlant faiseur de ronds de jambe !

J’ai vu à l’étranger certaines princesses de sang. Dieu sait que j’ai peu d’amour pour la Révolution, mais ces têtes semblaient faites exprès pour être portées au bout d’une pique. Il y a un port de tête qui en appelle un autre. Et on comprend parfaitement que des gens aient vu rouge.

Ces gens se croiraient déshonorés s’ils donnaient la main à leur domestique. Ils ont sous leur toit des hommes, des femmes, avec leurs âmes, et ils [les] ignorent, ils maintiennent implacablement un mur entre eux et ces gens qui sont mêlés à leur vie. Jamais un essai pour se comprendre. Je ne les ai vus parler qu’une fois à un domestique. C’était le domestique d’un de leurs jeunes parents qu’ils voulaient marier. Ils cherchaient à le faire parler pour savoir si son maître communiait.

Cependant le jeune fils de la maison s’occupe d’un patronage. Il joue avec des garçons du peuple. Le mot d’ordre est d’avoir leur confiance, et il l’a. Son but est d’ouvrir, de remuer leurs âmes. Mais si du jour au lendemain, un de ces garçons entre comme petit serviteur chez ses parents, il ne lui tendra donc plus la main ? il trouvera donc que « cela ne se fait pas » de seulement supposer qu’il a une âme ? Pourquoi ces deux poids et ces deux mesures ? Et, surtout, comment ?

N’ayant pas de cigarettes sur moi, je demande une des siennes à mon serviteur. On m’a vu. Cela fait le tour de la famille. Notez qu’on sait très bien que j’ai beaucoup voyagé avec ce serviteur : nous avons été chevaucher ensemble, naviguer ensemble, mener une vie assez aventureuse dans des pays un peu perdus et à l’étranger. Notez que ces gens du monde que cela choque si fort, sont dans leur classe des gens très simples et le contraire de faiseurs d’embarras.

Des hommes ayant une pensée un peu personnelle, il n’y a que la vanité qui puisse les mener chez les gens du monde. On ne sait plus alors ce qui est le plus pénible à voir, de la curiosité et de la servilité de ceux-là, de la curiosité et de la stupidité de ceux-ci. Ni lesquels, de ce contact, sortent les plus diminués.

Barrès dédaignait beaucoup le monde. Je l’ai vu le montrer jusqu’au manque de courtoisie. Il en dit bien les raisons dans […][8]. Dans la conversation, il mettait Jaurès bien au dessus d’Albert de Mun. Il allait jusqu’à le trouver plus intelligent[9].

Aussi les gens du monde ne l’ont guère goûté. Ils le citaient pêle-mêle avec Bourget, etc., ne comprenant pas quand on leur disait seulement – ne voulant pas entrer dans des débats – que « ce n’était pas la même chose ».

Chez ma trisaïeule, les serviteurs, chaque soir, venaient dire la prière avec les maîtres au salon. Ceci me touche profondément. Je croirais, je serais persuadé que le Dieu qu’ils priaient était leur invention, je n’en serais pas moins touché profondément. Mais quand – c’était le début des lettres mises à la poste, – ma trisaïeule vit un jour une lettre reçue ou envoyée par un serviteur, elle fut stupéfaite et scandalisée. Elle s’écria : « Ces gens-là s’écrivent ! »

C’est dans la classe de la société la plus imbue du catéchisme qu’on dit encore en parlant d’une autre classe « les inférieurs ». Dans ma famille, toute ma jeunesse j’ai entendu parler des « gens propres ». C’étaient les gens avec un de.

La simplicité des gens de race charme sûrement. Mais qu’ils ne le sachent pas trop ! Un infime nuance qui laisse croire que cette simplicité est trop consciente et l’étrange charme s’en ira haineusement, un fer planté dans sa fierté qui frissonne.

J’ai connu un grand seigneur qui dévoua sa vie aux œuvres sociales et chrétiennes. Mais lorsqu’on lui disait que [dans] son amabilité vis à vis des « inférieurs », il y avait un je ne sais quoi qui faisait dire : « Il a une si haute [idée] de lui-même qu’il peut se permettre d’être aimable avec nous », il souriait seulement et se rengorgeait un peu. Cet homme se fût levé au milieu de la nuit pour aller chercher un prêtre pour un miséreux moribond, mais il ne protestait pas quand on lui disait qu’il blessait la seule partie de nous qui ne guérisse (ni ne pardonne) jamais : l’amour-propre.

On voulait marier un jeune homme. Cela se passait entre gens du monde. « Avez-vous des amis qui puissent donner des renseignements sur vous ? » Le jeune homme refusa de mettre ses amis en posture de lui donner ou de lui refuser des certificats. Il était choqué, mais la dame ne le fut pas moins. « Il y a ma parole », dit-il. « Mais enfin, vous comprenez bien que cela ne peut suffire. Il faut des gens qui puissent dire que jamais il ne vous ont vu jouer, courir les femmes, découcher… » « Eh bien, dit le jeune homme, dans une boutade d’impatience, il y a ma concierge pour témoigner que je ne découche pas. » « Ce n’est pas une si mauvaise idée, dit la dame. Donnez-moi donc son nom. » Qui ne préférera rester célibataire, ou épouser la bouquetière du coin, que de[10] désigner pour soi-même des juges de cette sorte, quand il s’agit du bonheur ou du malheur de toute sa vie ? Quelles mœurs suppose[11] un caractère qui admet ce répugnant espionnage ? Ce sont des traits de cette sorte qui font s’écrier, à de certains moments : « Non, inutile d’insister, rien à faire. Il n’y a aucun moyen de s’entendre avec cette race-là. Elle parle <toujours> d’honneur, et elle n’a aucune notion de ce qu’est l’honneur. Et si par hasard elle le rencontre, elle a envie de l’exorciser. »

Ces notes, mises ensemble, se trouvent être sévères. C’est que les gens du monde, d’autant ils se croient, d’autant on est en droit de leur demander. C’est aussi que l’auteur de ces notes ne fréquente guère que deux catégories sociales, des intellectuels et des simples. Une partie de ce qu’il impute aux gens du monde – parce qu’il en voit aussi quelques-uns, – pourrait être peut-être imputé légitimement aux autres classes de la société[12].

Il n’en reste pas moins vrai que celui qui est « sans naissance » n’est en rien diminué, tandis que ceux qui ont de la naissance ont presque toujours quelque chose qui les ill. etc…

La Princesse de P.[13], odieuse à tous par ses exigences et sa hauteur, était zélatrice du Sacré-Cœur. Elle allait faire de l’adoration nocturne, mais le soir même elle ill. avait brisé avec joie la carrière d’un homme qui l’avait blessée dans son amour-propre[14]. Si ç’avait [été] là une hypocrisie, ce serait sans intérêt à mon point de vue. L’intéressant est qu’elle était pieuse avec sincérité.


Henry de Montherlant

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Ainsi se termine le texte continu. Suivent, en bas de page, quelques annotations qui suggèrent que Montherlant allait traiter des rapports entre littérateurs et gens du monde[15] et, sur un dernier feuillet, au dos d’une lettre circulaire du 20 août 1925 destinée aux abonnés de La Vie Catholique[16], un semis de notes à l’encre ou au crayon dont on ne peut dire avec certitude qu’elles concernent toutes « Sur les gens du monde »[17]. Quatre mots, cependant, en émergent : « Aurel / pince à sucre », qui ouvrent à eux seuls de larges perspectives.

Aurel, de son vrai nom Aurélie de Faucamberge (1869-1948), a marqué de son empreinte le Paris littéraire de la première moitié du XXe siècle. Le salon qu’elle tint, dès 1915, au 20 de la rue du Printemps était fréquenté par des gens comme Cocteau, Apollinaire, Max Jacob ou Anna de Noailles[18]. Si Léautaud ne l’a guère épargnée dans son journal, Laurent Tailhade en dit le plus grand bien dans Les Livres et les hommes, où il exalte plus précisément Les Saisons de la mort[19], que Montherlant a lui-même lu avec la plus grande attention au point d’en nourrir maintes pages de son Chant funèbre pour les morts de Verdun[20]. Un dossier conservé au Musée Richard Anacréon de Granville porte les preuves de ce qu’on avance ici, mais négligerait-on ce dossier qu’il suffit à qui veut comprendre le mystérieux « Aurel / pince à sucre » de relire la page du Démon du bien où l’auteur est censé recopier le journal de Costals : « La phrase d’Aurel : “Il y a des femmes à qui on prête un livre admirable, et qui vous le rendent sans un mot, comme on vous rend une pince à sucre” »[21], phrase qui fut reprise à peu près telle quelle dans Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?[22]. On ne saura jamais si Montherlant avait pensé à intégrer le mot d’Aurel dans son essai d’août 1925 sur les gens du monde, mais comment ignorer cette notule qui nous conduit jusqu’en 1972 ?

Du texte proprement dit, on retient le regard tantôt impitoyable tantôt apitoyé que son auteur porte sur « les gens avec un de », n’épargnant ni les ancêtres (le « faiseur de ronds de jambe ») ni les parents proches. On objectera que Sur les gens du monde ne fut jamais publié, que pour savoir ce que Montherlant pense de la noblesse il faut plutôt lire Sur la noblesse en France, qui parut dans Le Journal des Débats du 16 décembre 1934 avant d’être inclus l’année suivante dans Service inutile et qui était d’abord destiné à ceux qui avaient vu dans Les Célibataires sortis en été « une satire de la noblesse ».

La question reste de savoir si ce Montherlant des années trente fut moins sévère pour les gens de sa classe que celui de 1925. Oui et non. Le Montherlant de 1925 avance, pour excuser la sévérité de ses notes, qu’on est d’autant plus en droit de « demander » aux gens du monde qu’ils « se croient » eux-mêmes, quand celui de Service inutile retourne l’argument : on colporte que « les nobles sont bêtes », alors que la bêtise n’est pas « plus compacte chez eux que dans les autres classes de la société » ; elle est seulement « plus voyante, parce qu’on exige davantage d’eux »[23]. La critique n’est pas moins vive, en revanche, quand il s’agit de dénoncer la fatuité d’une certaine noblesse :

Il y a sûrement, dit l’auteur de Service inutile, un certain air aristocratique qui vous prend terriblement sur les nerfs. Un certain air cuisse de Jupiter, supérieur et bienveillant, avec la voix pointue ou trop douce, qui désigne d’emblée ces fines têtes pour le panier : c’est un réflexe impérieux qu’on a ; pour le maîtriser il faut se raisonner. Si on n’avait qu’un mot à dire, se raisonnerait-on ? Ce serait sans doute selon l’heure de la journée. En même temps, je n’y puis rien, je suis de ces gens-là. Sans en être. Là-dedans et à côté, comme je suis « là-dedans et à côté » de toute chose. C’est pourquoi je les sens assez bien, parfois étant eux, et parfois les regardant de l’extérieur, parfois me complaisant en eux, et parfois les haïssant, selon l’heure de la journée[24].

Le Montherlant de 1935 – sinon celui de 1934, car ce paragraphe n’était pas dans le Journal des Débats[25] – a clairement cédé, en l’espèce, au plaisir un peu gavroche de ressortir sous une autre forme son mot de 1925 sur « certaines princesses de sang » dont les « têtes semblaient faites exprès pour être portées au bout d’une pique »[26]. Plaisir, note Henri de Meeûs, auquel cédera derechef, en 1956, l’auteur de Brocéliande, quand il fait dire à Mme Persilès :

Ce que l’aristocratie a d’exaspérant, c’est sa façon d’être aimable, simple, « gentille », nigaude même, et polie – oh ! sa politesse ! – et puis, soudain, toc ! de vous faire sentir par quelque chose d’imperceptible que vous n’êtes que du pipi de chat. De sorte qu’elle est à la fois polie à vous faire vomir, et mal élevée à vous faire saigner. On ne sait pas si l’aristocratie est comme ça inconsciemment, ou si elle le fait exprès, parce qu’elle a envie qu’on lui coupe le cou. Mais le résultat est qu’on ne peut jamais être tout à fait franc du collier avec ces gens-là, si on n’est pas de leur monde, que dis-je ! si on n’est pas exactement du même palier que celui à qui on a affaire dans leur monde[27].

Que retenir, finalement, du manuscrit de 1925 ? Avant tout l’image d’un Montherlant qui, « selon l’heure de la journée », se sent de plain pied avec « les gens de race » ou les abomine. N’oublions pas qu’en août 1925 il n’habite plus au passage Saint-Ferdinand. Il a quitté la France le 15 janvier, il a parcouru l’Espagne, peut-être même le Maroc espagnol, et son regard s’est aiguisé, même si le portrait qu’il donne de lui-même se dilue dans le temps. Se superposent ainsi trois moments de sa vie : le « jeune fils de la maison » qui « s’occupe d’un patronage » et « joue avec des garçons du peuple », c’est lui mais dix ans plus tôt, quand il était au patronage du Bon Conseil à Saint-François-Xavier[28] ; le jeune homme qu’« on voulait marier », c’est lui encore mais avant l925, quand, acceptant « l’idée de se marier par convenance sociale, voire par intérêt social », il avait « frôlé cette sorte d’union »[29] ; en revanche, le serviteur avec qui il a mené « une vie assez aventureuse dans des pays un peu perdus et à l’étranger », c’est son « boy » de la toute récente équipée andalouse, le « serviteur châtié » de la Lettre qui paraîtra dans Candide le 17 décembre 1925[30].

Pierre Duroisin

Notes

[1] Ce manuscrit provient de la boîte 16, dénommée Varia.
[2] On s’est permis quelques menus « aménagements » de la ponctuation, de manière à faciliter la lecture.
[3] On trouvera sur ce site même, sous le n° 44 de la rubrique « Articles », une notice biographique d’Henry Léon Camusat de Riancey (1816-1870). Pierre Sipriot rapporte que, dès l’époque du Songe, Montherlant envisageait d’écrire une biographie de son aïeul (voir Montherlant sans masque, Le Livre de Poche, 1992, p. 18). Montherlant enfin venait de déclarer dans un « entretien » publié par Les Nouvelles littéraires du 20 juin 1925 : « […] je collationne la correspondance de mon arrière-grand-père Henry de Riancey avec Montalembert, Veuillot, Dupanloup, Charrette, etc. pour un livre que je publierai beaucoup plus tard sous le titre : Une famille chrétienne au XIXe siècle. » Ce projet semblera se concrétiser en 1934, quand Montherlant fera paraître dans L’Écho de Paris du 6 juin un article intitulé « Un publiciste catholique au XIXe siècle », cependant que l’édition originale des Célibataires, dont l’achevé d’imprimer est du 11 juin, annonçait comme un ouvrage en préparation Une famille catholique au XIXe siècle : Henry de Riancey et les siens. Autant d’annonces qui furent sans lendemain.
[4] On s’en convainc très vite en consultant sur le site l’article n° 43 qu’Henri de Meeûs a consacré à « l’ascendance de Montherlant jusqu’en 1500 ».
[5] Un « voir p. 6 » dans la marge assorti d’un signe des plus clair invite à insérer ici la phrase qu’on va lire : « Si on pouvait… dans le sacrifice », et qu’on trouve en effet à la p. 6 du manuscrit.
[6] Il faut suppléer quelque chose comme « peu d’amour », comme on aura peu après « j’ai peu d’amour pour la Révolution ».
[7] Le « faiseur de ronds de jambe » est bien identifié dans l’article 21 du site rédigé par Henri de Meeûs, Qui était le père d’Henry de Montherlant ? : « Antoine Millon, seigneur de Montherlant et de La Verteville (1693-1777), Coureur de vin à l'Échansonnerie-Bouche du Roi Louis XIV, Exempt des Gardes de la Porte du Roi, acquit en 1755 les seigneuries de Montherlant et de La Verteville, marié à Jeanne Budin de Wavignies. »
[8] Manque la référence, que Montherlant se proposait sans doute d’ajouter le moment venu.
[9] Que Barrès ait mis le socialiste Jaurès au-dessus du légitimiste de Mun peut étonner, mais Philippe Levillain évoquait encore, il n’y a pas si longtemps, « l’estime réciproque » qu’il y eut entre les deux hommes « au-delà de tout ce qui les séparait » (voir « Jaurès et les catholiques sociaux » dans Jaurès et les intellectuels, Les Éditions de l’Atelier/ Éditions ouvrières, 1994, p. 223). On notera par ailleurs que lorsque Montherlant rappelle le dédain de Barrès pour « le monde », il est dans la ligne de la conférence qu’il avait donnée le 30 avril à l’Institut français de Madrid. Cette conférence est aujourd’hui reprise dans le volume Essais critiques sous le titre Barrès vu en 1925 (Gallimard, « Les Cahiers de la nrf », 1995, p. 11 à 16), mais on sait par Henri Mérimée, qui l’évoqua dans Les Nouvelles littéraires du 27 juin 1925 (en p. 6, dans un article où il traite des « Écrivains français en Espagne »), qu’elle s’intitulait « Conversations avec Maurice Barrès : de l’ambition au dédain ». Sur les gens du monde commençait en fait par deux lignes barrées où l’on devine encore « Barrès l’a bien vu qui préférait Jaurès à Albert de Mun ».
[10] Ici un « ne » (explétif ?) qui paraît inutile.
[11] Au-dessus de « suppose », qui ne fut pas barré, on lit « peut avoir ».
[12] Il devient malaisé, à partir d’ici, de bien saisir les enchaînements. Après un paragraphe qui ne fait aucune difficulté, l’auteur l’ayant renvoyé à plus haut dans son texte par un jeu de signes qu’il utilisait couramment dans ce genre de situations, on doit, semble-t-il, intercaler, avant le paragraphe sur la Princesse de P., un morceau inachevé qui est flanqué dans la marge des mots « à voir » : « Il n’en reste pas moins vrai… »
[13] On serait porté à lire « Polignac », mais rien n’est moins sûr.
[14] Montherlant avait d’abord écrit « mais elle eût brisé avec joie la carrière d’un homme qui l’eût blessée ». La version « définitive » n’est pas tout à fait claire.
[15] « le snobisme / ill. des littérateurs – une défiance très fondée / ils croient qu’ils l’ont laissé tomber quand c’est lui ».
[16] L’essai, rappelons-le, est daté « 21-22 août ». C’est aussi une indication sur la présence de Montherlant à Paris en août 1925. Il était en fait très occupé, à ce moment-là, par la rédaction des Bestiaires, qui paraîtront en 1926. Sur les gens du monde ne fut qu’un intermède comme la Lettre sur le serviteur châtié, à cette nuance près que la Lettre, qui avait été promptement menée à son terme, parut dans Candide en décembre.
[17] Même si c’est indiscutable pour l’une d’entre elles, qu’on a malheureusement le plus grand mal à déchiffrer : « Gens monde Ils charment <cette école des gracieusetés>, mais c’est elle qui crée le triomphe des médiocres. Le jour où une vraie valeur est <mise au jour> ill. qu’une valeur ill. »
[18] Roland Dorgelès évoque « les jeudis d’Aurel » dans Le Cabaret de la Belle Femme (dans Le Poète sous les pots de fleurs).
[19] Les Livres et les hommes (1916-1917), Vrin, 1917, p. 177-186.
[20] Les Saisons de la mort, qui avait paru chez Figuière en 1916, n’est pas un livre sur la guerre : Aurel, comme dit Tailhade, y « pleure en beau langage la perte d’une mère qu’elle aima ». Montherlant avait lui aussi perdu sa mère, en août 1915, d’où peut-être son intérêt pour le livre, mais ce qu’il en retint passa pour l’essentiel dans un livre sur la guerre. Une exception notable, parmi les mots de Saisons de la mort qu’il prit soin de recopier, celui-ci, p. 109 : « Sommes-nous pas toujours des mortes à qui de brèves effusions font soulever la tête hors des mers du néant ? », qui pour le lecteur de Service inutile évoque la formule finale de Chevalerie du néant : « Je n’ai que l’idée que je me fais de moi pour me soutenir sur les mers du néant » (E, p. 598).
[21] Voir le vol. Romans 1 de la Bibl. de la Pléiade, p. 1251.
[22] Op. cit., Gallimard, 1972, p. 185.
[23] Voir le vol. Essais de la Bibl. de la Pléiade, p. 688 (p. 201 de l’édition originale de Service inutile).
[24] Cette version est celle de l’édition originale. Dans l’édition de la Pléiade, le paragraphe commence par « Il est bien vrai qu’il y a un certain air ».
[25] Une note le signalait dans l’édition originale de Service inutile, p. 202 : « Ce dernier paragraphe a été épargné au Journal des Débats. », sans qu’on puisse trancher, rédigée comme elle le fut, si l’auteur s’était lui-même censuré par égard pour les lecteurs du Journal ou si ledit paragraphe fut rédigé après décembre 1934, comme le fut une page sur la pauvreté et la libéralité qu’on trouve un peu plus loin dans l’essai. La note fut en tout cas maintenue dans plusieurs éditions de Service inutile, celle de 1943, par exemple, qui parut à Bruxelles à La Toison d’Or, ou celle de 1952 chez Gallimard ; on ne la trouve pas, en revanche, dans l’édition de 1948 chez Laffont, non plus que dans l’édition de la Pléiade.
[26] On lira avec le plus grand intérêt les lignes consacrées à une certaine aristocratie telle que la croquent Les Célibataires, Les Jeunes Filles et La Rose de sable dans l’article 104 de ce site : « Les petits personnages comiques dans les romans de Montherlant », communication faite par Henri de Meeûs lors du colloque L’Imaginaire de Montherlant qui se tint à l’Institut Catholique de Paris, à l’initiative de Patrick Brunel, du 22 au 24 novembre 2012.
[27] Acte III, scène I.
[28] Faure-Biguet a donné dans Les Enfances (p. 173 et sv.) quelques précisions sur cet engagement, qu’il situe en 1915 sans dire quand il prit fin. Montherlant a parlé de deux années : « de dix-huit à vingt ans » (voir JEAN DE BEER, Montherlant ou L’Homme encombré de Dieu, Portrait-Dialogue, Flammarion, 1963, p. 15, en note).
[29] Voir l’Avant-propos de Service inutile, p. 577 dans le vol. Essais de la Bibl. de la Pléiade.
[30] On renvoie le lecteur à l’article qui a paru dans le tome 69, n° 1-2, 2015, p. 167 et sv. des Lettres romanes sous le titre « Les mystères de la Lettre sur le serviteur châtié de Henry de Montherlant », Brepols Publishers, Turnhout, Belgium, 2015, et plus particulièrement au Post-scriptum de la p. 221.