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Articles sur Montherlant (hors presse)

97. Quand Henry de Montherlant fuyait les jeunes filles, par Odette Pannetier

Odette Pannetier

Henry de Montherlant


“J’aurais voulu lui dire à quel point ses œuvres m’irritaient, surtout du fait qu’ayant commencé à les lire, je ne pouvais plus les quitter avant d’être parvenue – la rage au cœur – à la fin.” (Odette Pannetier)

Introduction

Nous ne résistons pas à insérer dans le site Montherlant l’article paru dans Opéra, hebdomadaire du théâtre, du cinéma, des lettres et des arts, en date du 6 octobre 1948. Cet article moqueur, et finalement assez drôle car excessif, est écrit par Odette Pannetier qui fut membre et la seule femme du premier Jury Théophraste Renaudot, et l’auteur de plusieurs livres oubliés dont plusieurs guides gastronomiques, tels que :

  • 101 bons petits restaurants de Paris (1950),
  • 300 recettes culinaires pour gourmets au régime (à la Pensée moderne 1961),
  • Cent restaurants de la Côte d’Azur de Cannes à Menton (1962, Albin Michel),
  • Histoires poivrées (1957) aux Editions de Paris,
  • Hommes à vendre, Choses vues (1930, extraits des Œuvres libres),
  • J’étais cette petite fille, chez Julliard (1952),
  • Pierre Laval chez Denoël et Steele (1936),
  • Quand j’étais candide-souvenirs, chez Julliard (1948), etc…

Odette Panetier veut régler son compte à Montherlant et le ridiculiser. Cela montre encore une fois l’incroyable “excitation” de très nombreuses femmes à l’égard de l’auteur des Jeunes Filles qui, toute sa vie, fut poursuivi soit par des femmes folles d’amour pour lui, qui le harcelaient ou le couvraient de lettres, soit par des harpies féministes qui le détestaient à la suite de Simone de Beauvoir et l’insultaient. Odette Pannetier fait partie de la dernière catégorie : celle des ennemies de Montherlant !

Quand Henry de Montherlant fuyait les jeunes filles

“Doué d’une taille honnête, paraît-il, il m’apparut petit – peut-être parce qu’il est trapu. Il a un visage rond et rose, l’œil dénué de gentillesse. Il fait penser d’abord à un santon de village, en plâtre bien raide, auquel l’enfant chargé de le peindre a voulu donner l’œil fatal. Ensuite on s’aperçoit que cette comparaison est fausse. Il est plutôt figé dans le contentement de lui-même comme un œuf mollet dans sa gelée. Il ne lui manque que les deux feuilles d’estragon ? Ça lui viendra plus tard – quand il sera académicien.
Je ne l’ai pas vu depuis de longues années. Il est de la catégorie des gens inapprochables – et qui ne le sont souvent que pour ignorer qu’on n’a aucune envie de les approcher. A cette époque – il y a quelque douze ans –, ma poursuite de l’homme fut longue comme une chasse à courre.
Une de ses concierges que je voulais considérer comme une alliée demeurait réticente.

Si seulement je m’amusais à indiquer à toutes ces dames qui viennent pour lui où c’est qu’elles peuvent le trouver… Ah ! houille! houille! … J’arriverais seulement jamais à faire cuire tranquillement mon frichti… Et puis, vous pensez bien qu’il a d’autres domiciles, poursuivi comme il est par toutes ces folles…

Et elle m’examina enfin, cherchant à savoir, pour satisfaire son opinion personnelle, si je faisais partie du contingent.
Je parvins, néanmoins, à le joindre. Il alla dans sa grande bonté jusqu’à me fixer rendez-vous pour prendre le thé un après-midi. Il ne s’agissait pas bien sûr d’une de ses multiples garçonnières, mais simplement de Poiré-Blanche, boulevard Saint-Germain. J’arrivai toute guillerette. Il faisait beau. Les douairières du quartier étaient en fleurs, leur petit chapeau recouvert de pensées et de pétunias. Montherlant était déjà là arpentant le trottoir.
Je pensai que, si les passantes savaient que cet homme quelconque, somme toute, était Henry de Montherlant, nous aurions vite autour de nous un cercle aussi compact que celui qui se coagule sur les Grands Boulevards devant les petits boxeurs en carton.

– Si nous allions plutôt au Pavillon Dauphine ?

Cette offre était un ordre. Moralement, je me mis au garde à vous pour acquiescer.
Le Pavillon Dauphine existait encore. C’est dire si tout cela est tristement situé dans le passé.
Notre conversation se traînait sans joie et sans heurts. Nous étions un peu comme les petits enfants qui portent la traîne de la mariée et qui tout intimidés préféreraient aller tout bonnement faire des pâtés de sable. J’étais très mécontente de moi. J’aurais voulu lui dire à quel point ses œuvres m’irritaient, surtout du fait qu’ayant commencé à les lire, je ne pouvais plus les quitter avant d’être parvenue – la rage au cœur – à la fin.
Jean Fayard a écrit un jour dans Candide à propos des Jeunes Filles, que si tous les hommes étaient orgueilleux et vaniteux, Montherlant, lui, était orgueilleux de sa vanité. Rien n’est plus juste. Deviendrait-il simple qu’il se jugerait frappé d’une maladie honteuse et se suiciderait à l’instant même.
Pourquoi notre anémique conversation vint-elle se situer sur l’armée, les officiers et tout particulièrement sur les officiers de l’armée d’Afrique ? Je ne sais plus.
Mais Henry de Montherlant reprit vie là-dessus. Il se mua en un poulain plein de sang et d’ardeur et ses cheveux en brosse se hérissèrent enfin avec conviction.

Ces officiers ? Des soudards, des reîtres. Ils ne pensent qu’à boire, qu’à trousser les filles ou, pire encore, les fatmas. Leurs seules capacités intellectuelles consistent à jouer au bridge. Ils ne sont rien. Ils n’existent pas. On ne peut que les abandonner comme un clochard sur son banc. Pour celui-ci, c’est pour une nuit. Pour eux, il s’agit de toute la vie…

J’étais bien gênée. Je hochais la tête. J’aurais voulu que cette conversation n’eût jamais eu lieu.

Oui… bien sûr…dis-je, il y a du vrai dans ce que vous dîtes…Toutefois il y a peut-être parmi ces officiers des exceptions qui…on ne sait jamais

Il s’entêtait. Son teint rose passait au cramoisi. Une femme qui osât contredire un Henry de Montherlant cela pouvait-il donc exister ?
Je fus lâche. J’avouai tout.

Je vais vous dire…je suis un peu juge et partie. Je suis fiancée à un capitaine de tirailleurs marocains…

Il changea une fois encore de teint, but une lourde gorgée de thé au citron, puis s’embarqua dans un discours assez long. En résumé, les officiers, et plus particulièrement les officiers de l’armée d’Afrique, étaient tous des héros, des saints dont pouvait, à juste titre, s’enorgueillir la France. Il ne s’arrêta que lorsqu’il fut à bout de souffle. Cela se fit attendre un peu.
Je regrette bien de n’avoir pas pu le voir transvasé en auteur dramatique.”

Odette Pannetier à Cannes, avec de droite à gauche :
Hugues, Destaillac, Huvet, Houzé, Béraud-Villars
Avril 1940 - GC II/5 [source]