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Articles sur Montherlant (hors presse)

48. Marguerite (des barons) Potier de Courcy (1847-1923),
grand-mère maternelle d’Henry de Montherlant, par Henri de Meeûs

“Je t’ai mis sur un piédestal et je ne veux pas que tu en tombes.”
(Lettre de la grand-mère à son petit-fils, 3 mars 1919).

Introduction

La famille de la grand-mère maternelle de Montherlant a ses origines en Bretagne et en Normandie.
Le fief de Courcy, dans le canton de Coutances (Manche), appartenait en 1688 à René Potier, seigneur de Courcy.
Dans le cours du XVII ème et XVIII ème siècle, les membres de la famille Potier prenaient le titre de seigneur et baron de Courcy. François Potier fut anobli en 1586. Après lui sont cités : René Potier (1631-1702) époux de Elisabeth Le Carpentier, dame de l’Espinay, Adrien Potier (1679-1704), (branche éteinte en 1812), Jacques Potier (1611-1662), seigneur de La Verjusière, Nicolas-Michel Potier (1693-1770), seigneur du Parc, André Potier (1736- 1798), seigneur de La Pommeraye et Philippe-Adrien Potier(1701-1788).

 
 

Armoiries des barons
Potier de Courcy
(Normandie).

La grand-mère de Montherlant descend de

Du côté paternel

  • Ses arrière-grand-parents paternels = Alexandre Potier baron de Courcy (1725-1777) et Alexandrine de Coëtnempren de Kersaint 1751-1824)
    Alain-Louis Le Gualès, seigneur de Kervézec mort en 1806 et Marie-Jeanne Guillotou de Kerdruff
  • Ses grand-parents paternels = Armand Potier baron de Courcy, chevalier de la Légion d’honneur (1774-1845) et Félicité-Marie Le Galès, propriétaire de Kervézec (1781- 1820)
  • Son père = Henri Potier baron de Courcy (1820-1861)

Du côté maternel

  • Ses arrière-grand- parents maternels = Jean VI comte de Gourcuff (1756-1793) et Marie Pélagie Euzénou de Kersalaun (1747-1824)
    Guy Pierre comte de Kersaint de Coëtnempren (1747-1822) et Agathe Halna du Fretay née en 1767
  • Ses grand-parents maternels = Casimir Auguste comte de Gourcuff (1780-1866) et Agathe de Coëtnempren de Kersaint 1793-1873
  • Sa mère= Marie Céleste Charlotte de Gourcuff (1823-1866)
 
 

Armoiries des comtes
de Gourcuff
(Bretagne).

Marguerite Potier de Courcy est née en 1847 et est décédée en 1923.
Elle avait épousé en 1869 le vicomte Emmanuel Camusat de Riancey (1846 -1905) - (Les Camusat de Riancey furent anoblis en 1703. En effet, François Camusat, sieur de Riancey (1653-1726), marchand bourgeois à Troyes, fut pourvu par Lettres du 23 mars 1709 de l’office anoblissant de conseiller secrétaire du Roi au Grand Collège). (Lire l’ouvrage de Christine Favre-Lejeune : Les Secrétaires du Roi de la grande Chancellerie de France. Editions Sedopols, Pierre-Marie Dioudonnat, Paris 1986) -

Marguerite Potier de Courcy eut deux enfants de son mariage avec Emmanuel de Riancey :

a) Un fils, Henry, vicomte Camusat de Riancey (1870 -1925), célibataire, sans postérité, qui servit sans doute de modèle à Montherlant pour le personnage du comte Léon de Coantré dans le roman Les Célibataires. C’est lui qui s’occupait des tâches manuelles et du jardin de la villa de sa mère à Neuilly. Il survécut deux ans à celle-ci. Selon des souvenirs de la famille Courcy, on disait qu’Henry de Riancey avait été un bel officier, doué pour tout, composant des vers, construisant lui-même une automobile très perfectionnée pour l’époque, s’enfermant pour faire des expériences et, en tout, d’une surprenante habileté manuelle. (Souvenirs inédits de la vicomtesse Jean de Courcy (1875-1953), remis à Pierre Sipriot par Mme Xavier de Courcy).

 

La Comtesse de Riancey
avec sa fille
Madame de Montherlant

 

Le 15 janvier 1925, deux ans après la mort de sa grand-mère Marguerite Potier de Courcy, Henry de Montherlant décida de liquider la maison familiale de Neuilly. Son oncle Henry de Riancey ne se réservant pour lui-même rien ou si peu, aida son neveu Henry à vider la villa (louée ?) de Neuilly, à classer, à ranger dans des caisses et des cartons, les livres, les papiers, le mobilier et les tableaux, tandis que Montherlant qui avait horreur de s’encombrer, déposait une partie de l’héritage familial dans un garde-meubles, et partait voyager durant neuf ans (avec de très fréquents retours à Paris) autour de la Méditerranée, en Italie, en Espagne et surtout en Afrique du Nord. Quand Montherlant de retour d’Afrique du Nord en 1934 s’installa à Paris rue de Bourgogne, les caisses du garde-meubles furent apportées dans son appartement et l’écrivain ne fit rien pour procéder à un rangement. Tout restait non déballé, comme dans un campement provisoire. Elisabeth Zehrfuss grande amie de Montherlant qui a connu ce premier appartement le décrit dans ses mémoires inédits. Elle finit par convaincre l’écrivain que ce logement n’était pas digne de lui et elle lui trouva en 1939 l’appartement du 25 Quai Voltaire qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort..

Le vicomte Henry de Riancey mourut sans doute dans une grande solitude et sans ressources ( ?) à l’âge de 55 ans au Touquet Paris-Plage. Son neveu Montherlant alors en Espagne ne put se rendre à ses funérailles. Il lui rendit un "hommage" qui passera à la postérité avec le roman, publié en 1934, Les Célibataires, et qui sera couronné par l’Académie française.
Voici un extrait de lettre que Montherlant écrit en mars1925 de Madrid à sa tante Marie de Courcy :

“Cet écroulement de mon oncle cinq jours après avoir quitté ce Neuilly qu’il détestait - cette mort dans la solitude - et moi qui apprends cela après un mois, qui lui ai écrit ces temps derniers, encore le jour d’avant-hier ! des cartes,etc. ! tout cela est dramatique. Comme vous le dites, mon oncle était le dernier proche témoin de toute cette vie de Neuilly et même d’avant, pour avoir toujours vécu ensemble, et depuis dix mois beaucoup d’agonies avaient été mises en commun. Il n’y a personne avec qui j’aie eu plus d’intimité, je ne dis pas de pensée, mais d’habitude. (…) Il était extrêmement sensible, émotif, et de la race qu’on nomme des "anxieux", comme était ma grand-mère. Et comment lui reprocher, à lui comme à elle, ce manque d’insousciance ? On ne le peut pas quand on sait dans quelles situations ils se débattaient.
Mon oncle est mort d’émotion sentimentale, d’avoir quitté ce lieu de ses affections, et de surmenage. Tout était pour lui - par sa maladie - complication et effort.

 
 

La grand-mère
et son petit chéri.

Le fait d’avoir mené cette maison pendant dix-huit mois, d’avoir fait en entier ce déménagement (quelle émotion pour moi quand j’aurai à rouvrir ces trente malles et caisses faites par lui avec quels soins et quelles attentions !,), les aventures du règlement de la succession, l’inquiétude de l’avenir ont été trop forts pour lui. Il avait la tête faible en ce sens que les mille petites choses matérielles lui étaient chacune un problème, un obstacle, un combat à livrer.(…) Il y a une sorte de grandeur dans cette mort qui suit brusquement une tâche terminée, tâche domestique et humble, si l’on veut, mais qui lui était un fardeau et qu’il prenait comme un devoir. (…) Il m’avait laissé la part d’argent liquide qui me revenait après paiement des créanciers dans la succession de ma grand-mère (..) (Sipriot, biographie, tome 1, pages 276-277)

b) Une fille, Marguerite (même prénom que sa mère) Camusat de Riancey (1872-1915) qui épousa en 1894 Joseph Millon de Montherlant (1865 -1914). (Lire sur ce site l’article n° 21 "Qui était le père d’Henry de Montherlant ?). De ce mariage, est issu Henry de Montherlant, né le 20 avril 1895, fils unique de ce couple, et petit-fils chéri de Marguerite Potier de Courcy qui n’aura pas d’autre descendance.
Henry de Montherlant sera le dernier porteur mâle du nom Millon de Montherlant.
Rappelons que les Riancey hésitèrent beaucoup à accepter la demande de mariage de Joseph de Montherlant pour leur fille Marguerite. Joseph n’avait même pas un tortil de chevalier, sa situation administrative était effacée, une fortune personnelle et un traitement modestes, ni hôtel à Paris, ni château, ni terres au soleil. Tout cela ne créait pas une ambiance favorable : le refus était dans l’air. (Mémoires de Louis Beghin Billecocq). Les parents de Marguerite cédèrent néanmoins. La dissipation de leur fortune par Emmanuel de Riancey " trop épateur" et qui avait vécu sur un grand train ne leur permettait plus d’être trop exigeants. Mariage d’ambition pour Joseph donc qui trouvait sa fiancée " pourrie de chic", et mariage de résignation pour Marguerite, future mère de Montherlant.
La mère d’Henry de Montherlant n’avait pas un caractère très agréable ni très sociable. Elle ne se remit jamais des hémorragies causées par la naissance de son fils, qui allaient détruire sa santé ; elle vivait au ralenti couchée sur une chaise longue ou sur son lit et recevait peu de visites. Elle qui jeune fille adorait le monde et les bals selon Montherlant, ne sortait plus, ce qui désolait son mari toujours fasciné par la haute société.

Comme la grand-mère Potier de Courcy est issue d’une famille ancienne et de très bonne noblesse, surtout par sa mère née Gourcuff, elle connait beaucoup de monde et essaiera toujours d’aider son petit-fils Montherlant chaque fois que cela sera possible, n’hésitant pas à écrire des lettres pour obtenir un "piston" en faveur de son chéri. Elle semble avoir connu le milieu que fréquentait le glorieux général de Castelnau, général d’armées, commandant les Armées de l’Est, un des vainqueurs de 14 -18 ; elle recommandera Henry au général pour le faire monter sur le front en 1918 puisque telle était la demande du futur écrivain qui ne voulait pas demeurer planqué à l’arrière (Lire à ce sujet la Biographie de Montherlant sur ce site : Guerre 1914-1918). La correspondance (un millier de lettres !) entre la grand-mère et son petit-fils est toujours inédite. Des extraits en furent révélés par Pierre Sipriot dans le premier tome de sa biographie.

Les parents et les frères de Marguerite Potier de Courcy

Son père (voir supra) est le baron Henri Potier de Courcy né en 1820 et décédé en 1861. Sa mère est Charlotte de Gourcuff (voir supra) née en 1823 et décédée cinq ans après son mari en 1866.
Le couple Potier de Courcy-Gourcuff aura plusieurs enfants. Marguerite est l’aînée. :

a) Marguerite Potier de Courcy (1847-1923) qui est le sujet de cet article.

b) Guy baron Potier de Courcy, chevalier de la légion d’honneur, né le 2 septembre 1849 à Paris, qui décèdera le 25 décembre 1928 à Paris à l’âge de 79 ans. Il fut Directeur de la compagnie d’assurances " La Générale". Il s’est marié en 1877 avec Jeanne Watin dont il eut trois filles :

-Marie Potier de Courcy (1878-1938) mariée à Maxime Boula de Mareuil (1877-1945), dont postérité

-Madeleine Potier de Courcy (1879-1967) mariée en 1908 à Pierre de Baudreuil (1875-1918), sans postérité

-Béatrice Potier de Courcy (dates ?) mariée au comte Yves de Kerguélen, dont postérité :

- Yfic de Kergelen (1920-2002) marié à Yolande de Keroüartz (noblesse bretonne) née en 1924
- Ghislaine de Kerguelen mariée au comte Jehan de Conny de Lafay

Guy de Courcy sera un peu la bête noire de Montherlant qui lui reprochait ses façons d’homme d’affaires à l’américaine, entiché de tout ce qui est moderne. Montherlant n’eut guère de reconnaissance pour l’aide financière que l’oncle Guy apportait à sa grand-mère (ruinée par son mari Riancey) et à sa mère. Il ne l’a pas raté non plus dans son roman Les Célibataires où il lui emprunte certains traits pour décrire le personnage du baron Octave de Coëtquidan. Pourtant l’oncle Guy s’efforça dès 1914 (selon Sipriot le biographe) de lui trouver un emploi dans sa Compagnie d’assurances, mais Montherlant ne le supporta pas.
Guy de Courcy " était toujours en représentation et en attitude dans le genre tragique" selon des Souvenirs inédits de Xavier de Courcy (voir Sipriot, tome 1, page 21)

c) Pierre baron Potier de Courcy, dit Pietro, (1856-1941), est mort célibataire et sans postérité à 85 ans. Son refus de travailler et son incapacité de s’intégrer socialement ne l’empêchèrent pas de vivre vieux. Jusqu’à la mort de sa sœur Marguerite, de 9 ans plus âgée, il vécut à ses crochets chez elle dans la Villa Saint-Ferdinand, 175 avenue de Neuilly, "un bel hôtel particulier en brique du XVI ème siècle avec une belle serre et un jardin bien entretenu, découpé en massifs" (où demeuraient aussi les parents d’Henry de Montherlant, Joseph et Marguerite, ainsi que le fils unique de la grand-mère Potier de Courcy, le vicomte Henry de Riancey, autre inadapté, modèle supposé du comte Léon de Coantré personnage immortel et pathétique des Célibataires.)
Pietro Potier de Courcy inspirera aussi Montherlant. Dans Les Célibataires, il décrit l’oncle Elie de Coëtquidan, habillé de hardes, "toujours débraillé, sale et grossier" (Sipriot, Montherlant, tome 1, page 20), n’en faisant qu’à sa tête, passionné par ses chats, et rejettant tout travail. La vicomtesse Jean de Courcy le décrit " boîteux, myope et mal rasé, habillé avec une hardiesse biscornue, des vêtements rapiécés et couverts de taches. "

Selon Sipriot, Pietro de Courcy serait mort en 1941 dans un couvent de province et était donc vivant quand parut en 1934 le roman de Montherlant. Mais comme il n’avait jamais ouvert un livre de celui-ci, il ne dut pas se formaliser d’avoir servi de modèle à son petit-neveu… .
On comprend dès lors les difficultés que devaient rencontrer les parents d’Henry de Montherlant dans une cohabitation forcée avec deux êtres (Pietro de Courcy grand-oncle de Montherlant) et Henry de Riancey (oncle de Montherlant) asociaux, originaux, pas très propres sans doute, qui ne sortaient plus dans le monde et qui vivaient aux crochets de Marguerite Potier de Courcy la grand-mère d’Henry.
En effet, Joseph de Montherlant, le père d’Henry, quoique sans fortune, et avec un statut de fonctionnaire en bas de l’échelle au Ministère des Finances, petit homme très droit, bien habillé, soigné, prétendait vivre comme un aristocrate élevé à l’ancienne, très légitimiste (Vive Chambord !) et catholique, respectant les Jésuites, adorant les réceptions, aimant les chevaux ; la chasse, la collection de tableaux (selon le fils écrivain) ou de cartes postales (selon son beau-frère le comte (romain) Beguin-Billecocq), et Marguerite de Riancey son épouse, la mère d’Henry, toujours souffrante suite à la naissance difficile de son fils, femme plutôt snob, haute dans ses armes et donc déçue par son mariage avec Joseph de petite noblesse, ne sortant quasi plus, refusant toutes les invitations, peut-être capricieuse, souvent allongée sur une chaise-longue dans le jardin ou sur son lit, rêveuse, romanesque, collet monté et aimant avec passion son fils, mais aussi très proche de sa mère qui l’hébergeait. Traitée de malade imaginaire et peut-être un peu de caractérielle par les cousins proches (le couple dépensera des fortunes en médecins, sans cesse écartés et remplacés) elle mourut en 1915 à l’âge de 43 ans ! Dans Les Garçons publié en 1969, Montherlant décrira en détails et longuement la fin cruelle et solitaire de la comtesse de Bricoule, mère d’Alban.

d) Joseph, baron Potier de Courcy (1859-1934), chevalier de la Légion d’honneur, marié en 1890 avec Marie (des comtes) de Maistre (1880-1951), dont postérité.

Quelques écrits sur la grand-mère de Montherlant

Note préalable :
La grand-mère Potier de Courcy, épouse du vicomte Emmanuel de Riancey, a sans doute inspiré à Montherlant le personnage de la comtesse de Coantré qu’on voit dans Les Célibataires, Les Bestiaires, Les Garçons. Il ne faut pas identifier comme dans un miroir le personnage réel (la grand-mère) avec le personnage créé par le romancier. Mais on peut supposer que certains traits de la grand-mère de Montherlant se retrouvent dans la comtesse de Coantré tant aimée par son petit-fils Alban de Bricoule.

 
 

La Comtesse de Riancey
à la fin de sa vie.

1er texte :

“Qui entrait à cette époque chez les Montherlant était accueilli par une dame de soixante-cinq ans. Toujours en noir, elle semblait replette par l’accumulation des jupes de dessous et des châles. Madame de Riancey, la grand-mère de Montherlant, avait survécu, témoin et victime de deuils de la famille, des dévolutions d’héritage, des dettes, des créances, de la chute des valeurs, etc.(…) Montherlant et sa grand-mère étaient inséparables. Elle était autour de lui la présence silencieuse et, plus pure que lui, sa conscience. Elle l’exaspérait par son mal au foie continuel, ses fioles de médicaments mais, comme il ne pouvait supporter de la voir souffrir, il était le plus tyrannique des infirmiers.(…) Priant pour le salut de tous, Mme de Riancey admettait très bien que son petit-fils fût un impie le temps que jeunesse se passe (…) Mme de Riancey vivait depuis sa jeunesse dans un tête-à-tête avec la mort. (…) Femme d’expérience (…)
Mme de Riancey était la belle-fille du directeur du journal de l’Union, organe du comte de Chambord. Elle s’était mariée et avait vécu aux Etats-Unis. Son mari, très volage, avait dépensé pour ses plaisirs une partie de l’héritage. Mais des déboires conjugaux de Mme de Riancey, on n’avait jamais souci. On voulait la rassurer car Mme de Riancey était une bonne personne. Par sa piété, elle impressionnait ; par sa bienveillance, elle charmait. (…) Elle allait à Lourdes chaque année, au Sacré-Cœur de Montmartre chaque semaine, sans compter la messe quotidienne, les retraites, les dévotions devant son petit autel personnel. "(Pierre Sipriot, Montherlant sans masque, tome 1, pages 18-19)

2ème texte :

“Ma grand-mère était la personnalité la plus accusée et la plus romanesque de la famille. Elle était née Potier de Courcy et sa mère était d’une des plus vieilles familles de la noblesse, les Gourcuff, une lignée très ancienne, avec des portraits dans la galerie des batailles de Versailles, enfin une personne de grande distinction, très catholique. Elle a vécu avec moi longtemps. Tous ceux qui étaient plus jeunes qu’elle sont morts les uns après les autres et je suis resté avec elle vingt-trois ans ; c’est une femme qui a eu beaucoup d’influence sur moi, comme ma mère ; car, en réalité, je fus un enfant élevé par les femmes. (…) Je devins soldat en 1916.(ndlr : 1917) J’avais été versé dans l’auxiliaire et j’étais dans un état-major de l’arrière. C’est ici que se place un autre trait admirable, de ma grand-mère, cette fois. Ma grand-mère m’aimait comme aiment les vieilles dames qui sentent qu’elles vont mourir et qui n’ont qu’un être à caresser, à câliner et sur qui répandre leur besoin de tendresse et de cajolerie. Je peux dire, selon l’expression consacrée, que ma grand-mère m’adorait. Or, elle fit des pieds et des mains pour que, de cet état-major de l’arrière qui était à soixante kilomètres du Front, je fusse envoyé sur le Front, ce qui était non seulement risquer ma propre vie à moi, mais sa vie à elle, car si j’avais été tué elle serait sûrement morte. C’est un trait que je trouve vraiment presque sublime.(…) Je fus démobilisé en 1919 et c’est alors que ma grand-mère, qui était la seule personne encore vivante de ma famille, me fit entrer comme secrétaire général de l’œuvre de l’Ossuaire de Douaumont, dirigée par le Maréchal Pétain, œuvre qui aménageait le cimetière où l’on recueillit les ossements de tous les combattants tués à Verdun. " (Extrait d’une interview de 1971 de Montherlant par Jean José Marchand, chez Jean-Michel Place éditeur, publiée en 1982)

3ème texte :

 
 

Armoiries des comtes
de Coëtnempren de Kersaint
(Bretagne).

Note : le nom de Coëtquidan choisi pour un des Célibataires est proche du nom de l’arrière-arrière-grand-mère de Montherlant, Agathe (des comtes) de Coëtnempren de Kersaint . Etonnante ressemblance des noms…

“Il n’y avait guère qu’une vingtaine de personnes, toutes d’une naissance si solide que les Coëtnempren se donnaient l’élégance de les respecter, qui eussent le pouvoir d’offenser Mme de Coantré.(ndlr : la grand-mère d’Alban de Bricoule). A nulle autre, elle n’avait donné ce pouvoir. Vis à vis de ces autres personnes, elle était, si j’ose dire, comme un hippopotame vis à vis d’un chasseur qui ne serait armé que de C.32 : 10 balles frappent l’hippopotame, il ne le sait pas ; il ne sait même pas que cela a eu lieu.(…) Quand elle disait : “Personne ne m’a jamais fait de tort ", elle le disait vraiment avec ingénuité. En effet, si on lui faisait un tort évident, le tort, en la touchant, cessait d’en être un dans son esprit, parce que le dogme était intangible, qu’elle était hors de portée. (…) Le talent qu’avait Mme de Coantré d’échapper aux torts lui était facilité par ce fait notable que, dans la famille, quand une situation acquise n’était pas ruinée par un tiers, il était d’usage qu’on la ruinât soi-même par quelque extravagance . (…) C’est pourquoi Mme de Coantré était infiniment Coëtnempren en prenant avec insousciance le renvoi (ndlr : du collège) d’Alban : il y avait même, dans ce renvoi, quelque chose qui était si purement dans l’esprit de la famille, que pour peu elle en fût flattée. (Montherlant, Les Garçons, version provisoire de 1929, voir Pléiade, Romans 2).

4ème texte :

Lettre du 3 mars 1919 de la grand-mère à son petit-fils :

“Je t’en conjure, mon enfant chéri, ne te laisse pas aller à ce mépris de tout car tu seras entraîné plus loin que tu ne le voudras et tu ne pourras plus réagir. Certes il y a beaucoup de mauvais dans ce monde mais il y a aussi tant de beautés qu’on ne peut pas ne pas admirer.
Tu te vantes d’être de plus en plus sans aucun scrupule pour réussir, ce n’est pas vrai puisque tu m’as dit dernièrement que tu ne faisais pas certaines indélicatesses même pour gagner de l’argent.Je ne puis croire qu’il n’y ait que la fibre de l’argent à vibrer chez toi et tu te juges toi-même vraiment trop mal et en dessous de la vérité. Ne te fâche pas contre moi de te dire ces quelques vérités, mais c’est mon amour passionné pour toi qui me les dicte. Je t’ai mis sur un piédestal et je ne veux pas que tu en tombes. Ton talent ne doit pas descendre mais monter… " (Lettre de la grand-mère du 3 mars 1919) (Biographie Montherlant sans masque de Sipriot, tome 1, page 100)

Sources de cet article

La grand-mère et son petit-fils Montherlant
à une corrida vers 1911.