www.bigben.be
AccueilBiographieOeuvresBibliographieArticlesAudio & Video

Articles sur Montherlant (hors presse)

6. L’Abbé de Pradts vu par l’Abbé de Pradts (dans La Ville dont le prince est un enfant)

 

Jean-Philippe Altenloh, comédien belge, 46 ans, a joué durant le mois de mars 2007 à la Comédie Volter, le rôle de l’Abbé de Pradts. Le rôle du Supérieur était tenu par Michel de Warzée, comédien célèbre en Belgique.

Le témoignage de Jean-Philippe Altenloh est intéressant, car il a vécu le personnage qui l’a marqué. Il fut un extraordinaire Abbé de Pradts, criant de vérité, pour ceux qui furent éduqués par des prêtres.

Voici son témoignage

“Un comédien est un être atypique qui exerce une activité atypique, éphémère, subtile, confuse, sensorielle, qui s’inscrit dans l’actualité sans laisser de traces.

Côtoyer au quotidien l’abbé de Pradts aurait pu être le sujet d’un journal intitulé : journal d’un curé en campagne…

En campagne de tentative d’apprivoisement d’un des personnages les plus complexes du répertoire et, au bout du compte, en campagne de tentative de séduction d’un public le plus large… ce qui est le propre - inavoué - du comédien.

Pour ma part, et ce témoignage vient se superposer à tous ceux qui forment la chaîne de mémoire vivante d’un personnage, j’ai usé d’ingrédients conscients et inconscients (cela n’a rien d’original, j’en conviens).

La matière première était très abondante : un des plus grands textes du XXe siècle, une documentation particulièrement riche, des propos de l’auteur objectifs et subjectifs, des interviews de comédiens, de metteurs en scène et de critiques de toute la francophonie.

Et pourtant, c’est à partir de la matière secondaire que tout se construit : l’inconscient de l’acteur, c’est ce qu’il ressent, c’est ce qui le fera vibrer, c’est ce que retiendra le spectateur, ce qui l’aimera et ce qui l’irritera.

Dans ce domaine, l’unanimité n’existe pas. C’est ce qui me plaît dans cet artisanat.

Pendant la période des répétitions, une personne très chère m’a fait découvrir les cours de Michel Bouquet au conservatoire, gravés aujourd’hui en disque compact. Quel bonheur ! Quelle justesse ! Quel épanouissement ! Quel accomplissement ! Tout semble si facile, si évident et tout est pourtant toujours impossible !

L’abbé de Pradts est un personnage qui rend fou. Malgré la distance, sa cohabitation transforme en se nourissant inconsciemment du vécu de celui qui a relevé le défi de l’incarner.

Une fois de plus, ceci n’a rien d’original.

Mais dans le cas d’un personnage dont les agissements toujours surprennent, le jeu est dangereux et ce n’est pas l’acteur - qui n’est qu’un passeur - qui hypnotise le spectateur, c’est le spectateur qui pénètre dans la pensée de l’auteur (ici se situe la séduction citée plus haut).

Que l’on cesse une fois pour toutes de prendre les comédiens pour ce qu’ils ne sont pas. Que le spectateur que je suis accepte de reconnaître qu’il peut être envoûté par la puissance suggestive, dérangeante, sublime et ô combien cathartique des grands auteurs.

Les thèmes universels ne sont le monopole de personne. La liberté d’interprétation est totale. Le droit à l’erreur est fondamental.

Toujours l’inattendu arrive. Et il n’y a donc aucun mérite à être quoi que ce soit (épitaphe gravée sur la tombe de Marcel Marien, artiste anarchiste polyvalent et touche-à-tout, qui partage avec Montherlant un penchant évident pour les apparences trompeuses).”

Jean-Philippe Altenloh